Allegra

Written in French by Philippe Rahmy

Add

Depuis son retour de la maternité, Lizzie ne se lève presque plus. Nous sommes le 16 juin. C’est Laylat al-Qadr. La nuit du destin. La nuit durant laquelle le Coran a été révélé à Mohammed. Il est 5 heures du matin. Ces derniers temps, je m’éveillais en sueur. Je m’asseyais au bord du canapé comme au bord d’une falaise, jusqu’à ce que mon cœur s’apaise. J’ai encore fait le même rêve. Je cours dans un couloir de métro. Il y a le feu. C’est le sauve-qui-peut. Je me précipite avec les autres passagers vers la sortie.

J’ouvre les yeux. Tout est calme. Je me lève sans bruit pour ne pas réveiller Lizzie qui dort à côté, dans la chambre. Notre appartement est un capharnaüm. La vaisselle, le courrier s’accumulent. Je m’habille en chantonnant. Je change l’eau des fleurs. Je sors le jus d’orange du frigo défectueux qui fige les aliments dans un froid polaire. Je lance une machine. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Je ne sais pas quand notre quotidien s’est déréglé. Les semaines ont passé. Combien de querelles avec Lizzie ? Celle d’hier soir a été si violente que je ne veux plus y penser. Aujourd’hui marque un nouveau départ.

Il est 6 h 20. Allegra n’est pas encore réveillée. Je me penche sur la perruque de câbles sous le bureau. À mesure que je la démêle, mes épaules, ma nuque se relâchent. Plusieurs paires de chaussettes, ainsi que mon téléphone portable, refont leur apparition derrière la corbeille à papiers. J’écoute ma boîte vocale. Tous les messages sont de Firouz. Le dernier me fixe un rendez-vous au centre-ville ce matin. Je décide de m’y rendre.

Lizzie tousse. Cette toux grasse, encombrée de sommeil, me met les larmes aux yeux. Je me répète la phrase que je dirai à son réveil. Une petite phrase de rien du tout. Lizzie, je te demande pardon.

Il fait chaud, on entend des grillons, quelqu’un essaie de démarrer une voiture dans la rue. Le moteur est noyé. Une portière claque. Le silence revient. Lizzie gémit. Je pousse la porte de la chambre, hésite, reste sur le seuil. Liz tourne la tête vers moi. Elle me regarde comme si elle ne savait pas qui j’étais. Le berceau d’Allegra est à côté d’elle. Les mots se nouent dans ma gorge. Je murmure, j’ai rendez-vous avec Firouz. Lizzie ne réagit pas. Je lui fais, je t’appelle, avec la main. Elle répond, tout aussi silencieusement, fuck you, en pointant un majeur vers le plafond.

***

J’avance comme une feuille dans le vent. Une rue, puis une autre, à gauche, à droite. Une fille se tient devant une vitrine. Grande, habillée pour la guerre, en rangers et treillis, elle porte un marcel kaki, sprayé du « A » de l’anarchie et un masque du collectif Anonymous autour du cou. La chaleur s’installe, une chaleur pleine de courants d’air et de reflets. Tout autour, Londres déploie sa luxueuse énergie. La fille semble fascinée par une robe fifties en mousseline, dressée devant elle comme son antithèse. Au moment de nous croiser, nos épaules se heurtent. La fille fait un pas de côté. Elle me barre le passage.

Abel ? lance-t‑elle. Je réponds, oui, pourquoi ? Celui que tu attends n’a pas pu se déplacer. Il m’a demandé de venir te chercher. Je m’appelle Eva. Elle regarde sa montre. Je ne dis rien, moitié pour marquer ma surprise et moitié pour cacher ma contrariété. Pourquoi Firouz n’est-il pas là, pourquoi m’envoie-t‑il cette fille ?

Eva s’approche à me toucher. La cicatrice d’un bec-de-lièvre court de sa lèvre supérieure à la base de son nez. Une cigarette se consume au bout de son bras. Ses yeux plantés dans les miens me défient. Mon cœur bat vite et fort. Eva porte la cigarette à sa bouche. Le soleil multiplie sa présence radieuse dans les vitrines. Suis-moi, Abel, on t’attend à St. Margaret’s. Notre train part dans une heure.

La rue roule dans sa rumeur. Eva déboule à la manière d’un animal qui prend la lumière, ivre du sentiment d’exister, plein de muscles et de vigueur. Une brise nous porte à travers Mayfair. Toutes les têtes se tournent sur notre passage. Eva se déhanche, frôle les voitures, envoie des baisers aux conducteurs médusés derrière leur pare-brise. Elle m’appelle par-dessus la circulation. Dépêche ! Ce n’est pourtant pas elle que je vois, que je poursuis jusqu’à Waterloo Station, mais Lizzie. Lizzie prostrée dans notre appartement, sous les lampes assourdies, Lizzie en toile de fond de la ville, et sa détresse jaillissant de l’épaisseur de la terre.

Nous attrapons le train de justesse. Flash, flash, flash, flash, ombres et lumières, nous glissons entre taillis et palissades. Eva passe ses bras sous ses genoux. Un sourire est accroché à ses lèvres. Elle effectue un stage aux studios de Twickenham. Mon premier job. Tu imagines ? Je passe mes journées dans un lieu de légende. Ils ont mixé la bande-son de Blade Runner. Maintenant, on prépare la version DVD du Cheval de Turin, un film dingue de Béla Tarr. Eva continue, sais-tu qu’avant de devenir fou, Nietzsche s’est jeté au cou d’un cheval de fiacre récalcitrant, battu par son cocher sur une place de Turin, et… La fin de sa phrase se perd dans le raffut. Le bruit des roues sur les aiguillages est assourdissant. Je fais, quoi, qu’est-ce que tu dis ? J’espère que je vais réussir, c’est tout, répète Eva.

La ligne déchiquetée des talus projette une ombre en dents de scie sur les banquettes. Eva pose son front contre la vitre. Son reflet se mêle au paysage. C’est le plus beau film qu’on puisse imaginer, Abel. Un monde est balayé par la tempête… Au cœur de cette tempête, une ferme… Dans cette ferme, un père et sa fille murés dans le silence, et un cheval à l’agonie… Dehors, c’est l’apocalypse, les murs s’effondrent, les arbres se brisent. L’humanité va disparaître, et, avec elle, l’esprit grégaire et le sentiment d’appartenance qui transforment les hommes en chiens. Tout va disparaître, la beauté, la laideur, le bien, le mal. Seuls restent la terre et le ciel, le silence et le bruit.

Eva est comme ces équilibristes qui marchent sur un fil, sans voir rien ni personne. Je croirais entendre Lizzie me parler de poésie, mais il y a longtemps que la poésie n’est plus à l’ordre du jour entre nous.

Le train a pris sa vitesse de croisière. Cachée derrière ses cheveux, Eva m’observe. Elle se demande peut-être dans quel pétrin s’est fourré ce jeune homme maigre, en pantalon de flanelle et veste de tweed malgré la chaleur, aux mains osseuses, incapable de rester tranquille, qui gratte ses avant-bras, son cou et ses joues. Un animal aux abois. Eva ferme les yeux. Quand elle les rouvre, le même paysage morne s’étire jusqu’à l’horizon.

La colère m’envahit. Je file à travers la banlieue avec cette inconnue, au lieu d’être auprès de Lizzie et d’Allegra. Firouz se fout de moi ! Ce n’est pas la première fois. Je ne parle pas des heures supplémentaires. Je parle de harcèlement. Firouz sait que Lizzie n’est plus capable de faire face. J’ai beau lui répéter de ne pas téléphoner à la maison, de me laisser respirer, il ne veut rien savoir.

À nouveau, le train traverse plusieurs aiguillages. Déformée par le bruit, l’ombre s’abat sur moi, avant de se loger dans mon cœur, et je me cramponne à la vie dans le vacarme du wagon. Puis ce cauchemar s’estompe. Je retrouve mon calme.

Eva n’a pas bougé. Nos regards se croisent et je me perds dans sa rêverie. Nous sommes seuls dans le compartiment. Au-dessus de nous, le plafond se balance avec la mollesse d’une bâche dans le vent. Je défais mon col.

Depuis quelque temps, j’ai un eczéma sous l’oreille. Allegra en a développé un au même endroit. Il faudra que nous lui achetions des vêtements plus amples, la chaleur n’arrange rien. Je vais proposer à Lizzie d’aller faire des courses lundi. Ce sera l’occasion de parler en terrain neutre et de faire rouler la Mustang qui dort au pied de notre immeuble. Lizzie refuse de passer son permis. Seuls les millionnaires ont les moyens de conduire à Londres, me répond-elle quand je tente de l’en persuader. Les gens normaux prennent le métro.

Eva me demande à nouveau, alors, qu’est-ce que tu en penses ? Je réponds que je lui souhaite tout le succès du monde, mais que son film n’a pas l’air joyeux, joyeux. Je regarde ma montre. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les imbéciles n’y trouveront pas leur compte, siffle Eva. Elle me tend l’un de ses écouteurs. Nous n’échangeons plus un mot. Nous filons à travers la campagne sur la voix de Gil Scott-Heron. J’aime cette musique. Il n’y a pas si longtemps, Lizzie l’aimait, elle aussi. You will not be able to stay home, brother / You will not be able to plug in, turn on and cop out / You will not be able to lose yourself on skag / And skip out for beer during commercials / Because the revolution will not be televisedTu ne pourras pas rester à la maison, mon frère / Tu ne pourras pas te brancher, allumer ton écran et t’évader / Tu ne pourras pas te dissoudre dans la poudre / Ou sortir prendre une bière pendant la publicité / Car la revolution ne sera pas télévisée…

***

Oslo Court, la veille de mon départ pour le Salaam Hotel. Lizzie avait lavé et fait sécher les vêtements de notre fille. La vieille Ruby était avec elle. Elle l’aidait à vider la machine. Elle lui disait, je suis là, tu peux compter sur moi.

Je suis entré dans la buanderie. J’ai demandé à Lizzie pourquoi elle fourrait les vêtements d’Allegra dans ces sacs de l’Armée du salut. Tu es folle ! Allez, donne-moi ça, ils ne sont pas trop petits, ils vont encore à Allegra ! J’ai tenté d’arracher un sac des mains de Lizzie. Il s’est déchiré.  Les vêtements se sont répandus sur le sol. Lizzie s’est accroupie pour les ramasser. J’ai voulu l’arrêter. Elle s’est mise à hurler. Allegra est morte, Abel ! Elle est morte à cause de toi ! Ma main est partie. Lizzie est tombée. Ruby s’est jetée sur moi. J’ai attrapé autant de vêtements que j’ai pu et j’ai quitté la buanderie. Lizzie est restée des heures en bas. Je l’entendais crier à travers le plancher. Je me suis assis sur le canapé. J’ai ouvert une bouteille. Je l’ai bue. Lizzie n’est pas remontée. Je me suis endormi. Rien n’avait changé. J’étais là, assommé par l’alcool sur ce fichu canapé. J’étais là, incapable de comprendre ce qui nous arrivait, comme la nuit où j’étais parti à la recherche d’une pharmacie.

Ne me voyant pas revenir, n’arrivant pas à me joindre, Lizzie a paniqué. L’état d’Allegra empirait. Elle est devenue brûlante, puis elle a perdu connaissance. Lizzie a appelé Firouz. Il a débarqué à la maison, tandis que je cuvais sur un parking. Firouz a appelé les secours. Il était trop tard. Les médecins n’ont pas réussi à ranimer Allegra. Ils ont parlé de méningite foudroyante ; à quelques heures près, ils auraient pu sauver notre bébé.

Il n’y avait plus personne à la maison quand je suis rentré. J’ai cru que Lizzie et la petite s’étaient endormies. Je n’ai pas voulu les réveiller. Je me suis affalé sur le canapé. Le lendemain matin, quand j’ai ouvert les yeux, Lizzie était accoudée à la table en face de moi. Firouz, debout à ses côtés. Elle a dit, Allegra est morte cette nuit. Tu n’étais pas là. Tu m’as empêchée d’appeler l’ambulance. Tu as tué notre enfant. Mais j’étais trop ivre pour comprendre ce qu’elle disait.

Avant de devenir fou, Nietzsche a serré un cheval récalcitrant dans ses bras. Je n’avais personne à qui me raccrocher. Le jour s’est levé. J’ai déposé le sachet de la pharmacie sur la table. Lizzie n’a pas bronché. Firouz nous a laissés seuls. J’ai suivi sa voiture des yeux jusqu’au bout de la rue, puis je suis allé prendre une douche. Quand je suis revenu, j’avais à nouveau les idées claires. J’ai dit à Lizzie que j’allais préparer le biberon.

23 h 30. 

La cérémonie d’ouverture est terminée. Je quitte le stade à pied à cause des embouteillages. Je récupérerai la Mustang demain. Un orage se prépare. Des orchestres de jazz retiennent les badauds sur les berges. Les amoureux se prennent en photo. Les clochards caressent leurs chiens. Londres est pleine de petits bonheurs. Je m’approche du bord du quai. Je retire mon sac à dos. Avec le pied, je le fais basculer dans le fleuve. Un tourbillon se forme, un peu d’écume. La Tamise engloutit ma bombe.

Vers Saint-Paul, j’achète une glace. La vendeuse a une cicatrice sur la lèvre, identique à celle d’Eva. Cette coïncidence n’a aucune signification, mais elle me frappe en plein cœur. Chaque visage reformule la trivialité de la vie. Ce qui nous arrive, arrive à tout le monde. Je ne suis qu’un père essayant de surmonter la mort de son enfant.

Le mal me quitte, le rire me sauve, un fou rire de sanglots, comme des grêlons sur de la tôle ondulée. La promenade qui me ramène chez moi, au Salaam Hotel, m’arrache aux ténèbres. Mon rire est celui de Lazare se relevant du tombeau, traversant les rues, ébloui par la lumière, les poumons déchirés par les odeurs, les oreilles envahies par le chant des oiseaux ; pas vraiment une promenade, plutôt une manière de tituber et de me laisser tomber vers demain, une manière de réinventer le mouvement, de tirer l’image pétrifiée de ma mort, de la mort de ma fille, des profondeurs glacées, et de la hisser jusqu’à la sensation. Ma folie se brise. Londres la disperse aux quatre vents. De grands arbres se balancent sur le boulevard. Je cale mon pas sur ces masses ondulantes, un pas, puis un autre, pour recoudre mon histoire, pour invoquer la plus atroce des souffrances, pour l’affronter les yeux dans les yeux.

Le Salaam Hotel, cerclé de néons, déploie ses corolles au bord de l’avenue. Le hall est jonché de cartons. Norlay s’affaire à déballer de nouveaux lits de camp pour les dortoirs. La machine à écrire de Luther crépite. Je monte. La porte de ma chambre est ouverte. Quelqu’un a déchiré mon enveloppe, éparpillé son contenu sur le couvre-lit. Il n’y a pas de lettre, mais une photo Polaroid d’Allegra dans les bras de sa mère, le jour de sa naissance, et quelques pâquerettes séchées. Il y a aussi une coupure de journal qui annonce les funérailles de notre bébé. Elles ont eu lieu un vendredi. Je repose l’enveloppe déchirée sur le rebord de la fenêtre. Je relève le panneau-guillotine. Me voilà rendu à la banalité des jours.

Published March 13, 2018
© La Table Ronde 2016

Allegra

Written in French by Philippe Rahmy


Translated into Italian by Luciana Cisbani

Da quando è uscita dal reparto maternità Lizzie non si alza quasi più. È il 16 giugno. Il Laylat al-Qadr. La notte del destino. La notte in cui il Corano è stato rivelato a Maometto. Sono le cinque del mattino. In quel periodo mi svegliavo madido di sudore, mi sedevo sul bordo del divano come sul bordo di una scogliera fintanto che il cuore non mi si placava. Ho fatto ancora lo stesso sogno. Corro in un corridoio della metropolitana. C’è un incendio. È tutto un fuggi fuggi. Mi precipito verso l’uscita insieme agli altri passeggeri.

Apro gli occhi. Una calma totale. Mi alzo senza far rumore per non svegliare Lizzie che dorme lì accanto, in camera. Il nostro appartamento è un caos. I piatti e la posta si accumulano. Mi vesto canticchiando. Cambio l’acqua ai fiori. Tolgo il succo d’arancia dal frigo difettoso che irrigidisce gli alimenti in un freddo polare. Faccio partire la lavapiatti. Non possiamo andare avanti così. Io non lo so quando la nostra quotidianità ha iniziato a guastarsi. Le settimane sono trascorse. Quanti i litigi tra me e Lizzie? Quello di ieri sera è stato talmente violento che non voglio pensarci più. La giornata di oggi segna un nuovo inizio.

Sono le sei e venti. Allegra non si è ancora svegliata. Mi chino sul groviglio di cavi sotto la scrivania. Man mano che districo quell’ammasso le spalle e la nuca si rilassano. Dietro il cestino della carta straccia ricompaiono diverse paia di calzini e anche il mio cellulare. Ascolto la segreteria telefonica. Tutti i messaggi sono di Firouz. Nell’ultimo, mi fissa un appuntamento in centro per stamattina. Decido di andarci.

Lizzie tossisce. Quella tosse grassa, intasata dal sonno, mi fa venire da piangere. Ripeto tra me e me la frase che le dirò quando si sveglia. Una frasetta da niente: Lizzie, ti chiedo perdono.

Fa caldo, si sentono i grilli, qualcuno giù in strada tenta di mettere in moto un’auto. Il motore è ingolfato. Una portiera sbatte. Torna il silenzio. Lizzie geme. Spingo la porta della camera, esito, resto sulla soglia. Liz gira la testa verso di me. Mi guarda come se non sapesse chi sono. Di fianco a lei la culla di Allegra. Le parole mi si annodano in gola. Mormoro, ho appuntamento con Firouz. Nessuna reazione. Con la mano le faccio, ti chiamo. Sempre in silenzio, risponde fuck you puntando il dito medio verso il soffitto.

***

Procedo come una foglia al vento. Una via, poi un’altra, a sinistra, a destra. Una ragazza sta davanti a una vetrina. Alta, vestita come in guerra, con anfibi e tuta mimetica, indossa una canotta color kaki con sopra una «A» di anarchia spruzzata con lo spray e ha un maschera di Anonymus appesa al collo. Il caldo ormai si è insediato, un caldo pieno di correnti d’aria e di riflessi. Tutto intorno, Londra espande la sua lussuosa energia. La ragazza pare affascinata da un abito stile anni cinquanta di mussola, impettito davanti a lei come la sua antitesi. Nell’attimo in cui ci incrociamo, le nostre spalle si urtano. La ragazza fa un passo di lato. Mi sbarra la strada.

Abel? butta lì. Rispondo, sì, perché? La persona che aspettavi non poteva muoversi. Ha chiesto a me di venire a prenderti. Mi chiamo Eva. Guarda l’orologio. Non dico niente, un po’ per far notare la mia sorpresa un po’ per nascondere il disappunto. Perché non c’è Firouz? Perché mi manda questa ragazza?

Eva si avvicina quasi fino a toccarmi. La cicatrice di un labbro leporino le corre dal labbro superiore fino alla base del naso. In fondo al suo braccio si consuma una sigaretta. Gli occhi, fissi nei miei, mi sfidano. Ho il cuore che mi batte veloce e forte. Eva porta la sigaretta alla bocca. Il sole moltiplica nella vetrine la sua radiosa presenza. Seguimi, Abel, ti aspettano a St. Margaret’s. Il nostro treno parte tra un’ora.

La strada struscia tra i suoi stridori. Eva si lancia in avanti come un animale che si espone alla luce, inebriato dalla sensazione di vivere, pieno di muscoli e di vigore. Una brezza ci conduce attraverso Mayfair. Al nostro passaggio, tutte le teste si voltano. Eva sculetta, rasenta le auto, manda baci agli automobilisti impietriti dietro al parabrezza. Mi chiama sopra il traffico. Sbrigati! Eppure non è lei che vedo, che inseguo fino a Waterloo Station, ma Lizzie. Lizzie prostrata dentro il nostro appartamento, sotto le luci attutite, Lizzie come tela di fondo della città, e la sua angoscia che zampilla dallo spessore della terra.

Prendiamo il treno per un soffio. Flash, flash, flash, flash, ombre e luci. Ci infiliamo tra boschi cedui e palizzate. Eva incrocia le braccia sotto le ginocchia. C’è un sorriso appeso a quelle labbra. Sta facendo uno stage negli studi cinematografici Twickenham. Il mio primo lavoro. Ti rendi conto? Passo le giornate in un posto leggendario. Ci hanno mixato la colonna sonora di Blade Runner. Adesso preparano la versione DVD di Il cavallo di Torino, un film pazzesco di Béla Tarr. Eva continua, lo sapevi che un giorno, prima che diventasse pazzo, Nietzsche si era gettato al collo di un cavallo ricalcitrante che veniva frustato, in una piazza di Torino, dal vetturino del calesse, e… La fine della frase svanisce nel frastuono. Il rumore delle ruote sugli scambi è assordante. Io faccio, cosa, che dici? Spero che lo stage vada bene, tutto qui, ripete Eva.

La linea frastagliata dei terrapieni proietta un’ombra seghettata sui sedili. Eva appoggia la fronte contro il finestrino. Il suo riflesso si mescola al paesaggio. È il più bel film che ci si possa immaginare, Abel. Un mondo spazzato dalla bufera… Al centro di quella bufera, una fattoria… In quella fattoria, un padre e sua figlia murati nel loro silenzio e un cavallo agonizzante… Fuori c’è l’apocalisse, muri che crollano, alberi che si spezzano. L’umanità scomparirà, e con lei lo spirito gregario e il sentimento di appartenenza che trasformano gli uomini in cani. Tutto scomparirà, la bellezza, la bruttezza, il bene, il male. Rimangono solo la terra e il cielo, il silenzio e il rumore.

Eva è come uno di quegli equilibristi che camminano sul filo senza vedere niente e nessuno. Pare quasi di sentire Lizzie quando mi parla di poesia, ma è da tanto che la poesia non è più all’ordine del giorno tra noi.

Il treno ha preso la velocità di crociera. Nascosta dietro ai capelli, Eva mi osserva. Forse si sta chiedendo in che pasticcio si è ficcato questo uomo magro, con i pantaloni di flanella e la giacca di tweed nonostante il caldo. Uno con le mani ossute, incapace di rimanere calmo, che si gratta l’avambraccio, il collo, le guance. Un animale braccato. Eva chiude gli occhi. Quando li riapre, all’orizzonte si estende lo stesso paesaggio cupo.

Mi monta la rabbia. Sfreccio in mezzo alle periferie con questa sconosciuta invece di essere vicino a Lizzie e Allegra. Firouz mi prende per i fondelli! Non è la prima volta. E non parlo degli straordinari, parlo di stalking. Firouz sa che Lizzie non ce la fa più a reggere questa situazione. Ho un bel ripetergli di non telefonare a casa, di lasciarmi respirare, ma lui non ne vuole sapere.

Il treno attraversa di nuovo una serie di scambi. Deformata dal rumore, l’ombra si abbatte su di me per poi conficcarsi nel cuore, e io mi aggrappo alla vita nel frastuono del vagone. Poi l’incubo sfuma. Ritrovo la calma.

Eva non si è mossa. I nostri sguardi si incrociano e io mi perdo nelle sue fantasticherie. Siamo soli nello scompartimento. Sopra le nostre teste il soffitto oscilla con la mollezza di un telone nel vento. Allento il colletto.

Da un po’ di tempo ho un eczema sotto l’orecchio. Allegra ne ha sviluppato uno nello stesso punto. Bisognerà comperarle dei vestiti più larghi, il caldo di sicuro non aiuta. Proporrò a Lizzie di andare a fare compere lunedì. Sarà l’occasione per parlare in territorio neutro, e per muovere la Mustang che giace immobile sotto casa. Lizzie si rifiuta di prendere la patente. Solo i miliardari possono permettersi di guidare un’auto a Londra, mi risponde quando tento di convincerla. La gente normale prende la metropolitana.

Eva mi chiede di nuovo, allora, che ne pensi? Rispondo che le auguro tutto il successo del mondo, ma che il suo film non ha l’aria di essere divertentissimo. Guardo l’orologio. Certo non è roba che piace agli idioti, dice in un sibilo. Mi tende uno dei suoi auricolari. Non ci scambiamo più una parola. Corriamo attraverso le campagne sulla voce di Gil Scott-Heron. Mi piace questa musica. Fino a non molto tempo fa piaceva anche a Lizzie. You will not be able to stay home, brother / You will not be able to plug in, turn on and cop out / You will not be able to lose yourself on skag / And skip out for beer during commercials / Because the revolution will not be televised….Non potrai startene a casa, fratello / Non potrai collegarti, sintonizzarti e squagliartela / Non potrai perderti nella coca / o uscire di casa per una birretta quando arriva la pubblicità / Perché la rivoluzione non verrà trasmessa alla tele…

***

Oslo Court, il giorno prima che me ne andassi al Salaam Hotel. Lizzie aveva lavato e messo ad asciugare i vestiti di nostra figlia. Rubi, l’anziana vicina, era insieme a lei. La aiutava a svuotare la lavatrice. Le diceva, ci sono qui io, puoi contare su di me.

Sono entrato nel locale lavanderia. Ho chiesto a Lizzie perché infilava i vestiti di Allegra in un sacco dell’Esercito della Salvezza. Tu sei pazza! Su, dammelo, non sono troppo piccoli, vanno ancora bene ad Allegra! Ho tentato di strapparle dalle mani il sacco. Si è rotto. I vestiti si sono sparsi per terra. Lizzie si è accovacciata per raccoglierli. Ho provato a fermarla. Si è messa a urlare. Allegra è morta. Abel! È morta per colpa tua! Mi è partita la mano. Lizzie è caduta. Rubi mi si è lanciata addosso. Ho afferrato quanti più vestiti potevo e sono uscito dalla lavanderia. Lizzie è rimasta da basso per ore. La sentivo gridare attraverso il pavimento. Mi sono seduto sul divano. Ho aperto una bottiglia. L’ho bevuta. Lizzie non è risalita. Io mi sono addormentato. Non era cambiato niente. Stavo lì, stordito dall’alcol su quel maledetto divano. Stavo lì, incapace di capire quello che ci succedeva, come la notte in cui ero uscito per andare a cercare una farmacia.

Vedendo che non tornavo e non riuscendo a raggiungermi sul cellulare, Lizzie è andata nel panico. Le condizioni di Allegra peggioravano. Ha cominciato a scottare, poi ha perso conoscenza. Lizzie ha chiamato Firouz, che è piombato a casa nostra intanto che io smaltivo la sbronza in un parcheggio. Lui ha chiamato i soccorsi. Era troppo tardi. I dottori non sono riusciti a rianimare Allegra. Hanno parlato di meningite fulminante; qualche ora prima avrebbero potuta salvarla, la nostra bambina.

Quando sono rientrato, in casa non c’era più nessuno. Ho creduto che Lizzie e la piccola si fossero addormentate. Non ho voluto svegliarle. Mi sono lasciato cadere sul divano. La mattina dopo, quando ho aperto gli occhi, c’era Lizzie seduta con i gomiti sul tavolo davanti a me. In piedi di fianco a lei, Firouz. Lei ha detto, Allegra è morta stanotte. Tu non c’eri. Tu mi hai impedito di chiamare l’ambulanza. Tu hai ucciso nostra figlia. Ma io ero troppo ubriaco per capire quello che diceva.

Prima di diventare pazzo Nietzsche ha abbracciato un cavallo ricalcitrante. Io non avevo nessuno a cui aggrapparmi. È spuntato il sole. Ho posato il sacchetto delle medicine sul tavolo. Lizzie non ha battuto ciglio. Firouz ci ha lasciati soli. Ho seguito con lo sguardo la sua auto fino in fondo alla strada, poi sono andato a farmi la doccia. Quando sono tornato avevo di nuovo le idee chiare. Ho detto a Lizzie che preparavo io il biberon.

Ore 23.30

La cerimonia di apertura è finita. Lascio la stadio a piedi per via degli ingorghi. Tornerò domani a prendere la Mustang. Sta arrivando un temporale. Delle orchestrine jazz intrattengono i curiosi sul lungofiume. Le coppiette si fanno delle fotografie. I senzatetto accarezzano i loro cani. Londra è piena di piccole gioie. Mi avvicino al bordo del fiume. Mi tolgo lo zaino. Con il piede, lo faccio cadere nell’acqua. Si forma un mulinello, un po’ di schiuma. Il Tamigi inghiotte la mia bomba.

Verso Saint-Paul compero un gelato. La commessa ha una cicatrice sul labbro identica a quella di Eva. La coincidenza non ha nessun significato, ma è un colpo al cuore. Ogni viso ripropone la trivialità della vita. Quello che succede a noi, succede a tutti. Sono solo un padre che tenta di superare la morte di sua figlia.

Il dolore mi abbandona, la risata mi salva. Una risata convulsa, con dei singhiozzi come chicchi di grandine sulla lamiera ondulata. La passeggiata che mi riporta a casa, al Salaam Hotel, mi sottrae alle tenebre. La mia risata è quella di Lazzaro che esce dal sepolcro, cammina per le vie accecato dalla luce, con i polmoni dilaniati dagli odori, le orecchie invase dal canto degli uccelli; più che una passeggiata è un modo per indugiare, lasciarmi cadere verso il domani, un modo per reinventare il movimento, per estrarre dagli abissi gelidi l’immagine pietrificata della mia morte, della morte di mia figlia, e sollevarla, farla assurgere a sensazione. La mia follia si frantuma. Londra la disperde ai quattro venti. Dei grossi alberi oscillano sul viale. Appoggio ogni mio passo su quelle masse ondulanti, un passo, poi un altro, per ricucire la mia storia, per invocare la più atroce delle sofferenze, per affrontarla guardandola dritta negli occhi.

Il Salaam Hotel avvolto dai neon espande le sue corolle sul ciglio della strada. La hall è cosparsa di cartoni. Norlay è impegnato a sballare delle brande nuove per i dormitori. La macchina da scrivere di Luther continua a crepitare. Salgo. La porta della mia stanza è aperta. Qualcuno ha strappato la busta, sparpagliato il contenuto sul copriletto. Non ci sono lettere, ma una polaroid di Allegra in braccio alla mamma il giorno in cui è nata, e qualche margherita secca. C’è anche un ritaglio di giornale che annuncia il funerale della nostra bimba. È stato un venerdì. Rimetto la busta strappata sul davanzale della finestra. Alzo il vetro. Eccomi restituito alla banalità dei giorni.

Published March 13, 2018
© La Table Ronde 2016
© Ortica Editrice 2017

Allegra

Written in French by Philippe Rahmy


Translated into Spanish by Ezequiel Martinez KolodensErika Geymonat, Elena Donato

Desde que regresó de la sala de maternidad, Lizzie ya casi no se levanta. Es 16 de junio, Laylat al-Qadr. La Noche del destino. La noche en la que se transmitió el Corán a Mahoma. Son las 5 de la mañana. Últimamente me despierto transpirado. Me siento al borde del colchón como al borde de un acantilado, hasta que mi corazón se calme. Tuve el mismo sueño otra vez. Estoy corriendo por un pasillo del subte. Hay un incendio. Sálvese quien pueda. Corro rápido con el resto de los pasajeros hacia la salida.

Abro los ojos. Todo está en calma. Me levanto sin hacer ruido para no despertar a Lizzie que duerme al lado, en la habitación. Nuestro departamento es una leonera. La loza, el correo, se acumulan. Me visto tarareando. Cambio el agua de las flores. Saco el jugo de naranja de la heladera defectuosa que fija los alimentos en un frío polar. Prendo el lavarropas. No podemos seguir así. No sé cuándo nuestra vida cotidiana se estropeó. Las semanas pasaron. ¿Cuántas peleas con Lizzie? La de anoche fue tan violenta que ni quiero pensar en ella. Hoy marca un nuevo inicio.

Son las 6 y 20. Allegra aún no se despertó. Me agacho entre la peluca de cables debajo del escritorio. A medida que la desenredo, mis hombros, mi nuca se aflojan. Varios pares de medias y mi celular hacen su reaparición atrás del cesto de papeles. Escucho el contestador. Todos los mensajes son de Firouz. El último es por una reunión en el centro esta mañana. Decido ir para allá.

Lizzie tose. Esa tos pastosa, congestionada de sueño, me hace llorar. Me repito la frase que le diré cuando se despierte. Una pequeña frase sin importancia. Lizzie, te pido perdón.

Hace calor, se oyen los grillos, alguien intenta arrancar un auto en la calle. El motor está ahogado. Una portezuela se cierra de golpe. Vuelve el silencio. Lizzie gime. Empujo la puerta de la habitación, dudo, me quedo en el umbral. Liz gira la cabeza hacia mí. Me mira como si no supiera quién soy. La cuna de Allegra está al lado de ella. Las palabras se me anudan en la garganta. Murmuro, tengo una reunión con Firouz. Lizzie no reacciona. Le hago te llamo con la mano. Me responde, con el mismo silencio, fuck you, apuntando el dedo medio hacia el techo. (trad. E.M.K.)

***

Avanzo como una hoja en el viento. Una calle, después otra, a la izquierda, a la derecha. Una chica está parada frente a una vidriera. Alta, vestida para la guerra, con botas de combate y pantalón camuflado, una musculosa caqui, con una A de anarquía pintada con spray y una máscara del colectivo Anonymus en el cuello. El calor se instala, un calor lleno de corrientes de aire y reflejos. Alrededor, Londres despliega su lujosa energía. La chica parece fascinada por el vestido de los cincuenta de muselina, erguido frente a ella como su antítesis. Cuando nos cruzamos, nuestros hombros se chocan. La chica da un paso al costado. Me bloquea el camino.

¿Abel?, dice. Respondo sí, ¿por? Al que esperás no pudo viajar. Me pidió que viniera a buscarte. Me llamo Eva. Mira su reloj. No digo nada, medio para marcar mi sorpresa y medio para esconder mi contrariedad. ¿Por qué Firouz no está acá? ¿Por qué me manda a esta chica?

Eva se acerca hasta tocarme. La cicatriz del labio leporino recorre de la parte superior de la boca a la base de la nariz. Un cigarrillo se consume al final del brazo. Sus ojos clavados en los míos me desafían. Mi corazón late rápido y fuerte. Eva se lleva el cigarrillo a la boca. El sol multiplica su presencia radiante en las vidrieras. Seguime, Abel, te esperan en St. Margaret. El tren sale en una hora.

La calle rueda en su rumor. Eva se mueve como un animal para atrapar la luz, ebrio del sentimiento de existir, repleto de músculos y de vigor. Una brisa nos lleva a través de Mayfair. Todas las cabezas se giran cuando pasamos. Eva se contornea, roza los autos, tira besos a los conductores atónitos detrás de los parabrisas. Me llama por encima del ruido del tránsito. ¡Apurate! Pero no es a ella a quien veo, a la que sigo hasta Waterloo Station, sino a Lizzie. Lizzie postrada en nuestro apartamento, bajo las lámparas tenues, Lizzie como telón de fondo de la ciudad, y su angustia brotando de la espesura de la tierra.

Justo agarramos el tren. Flash, flash, flash, flash, luces y sombras, nos deslizamos entre montes bajos y cercos. Eva se agarra las piernas con los brazos. Una sonrisa está colgada de sus labios. Está haciendo una pasantía en los estudios de Twickenham. Mi primer laburo. ¿Te imaginás? Paso mis días en un lugar legendario. Ahí mezclaron la banda sonora de Blade Runner. Ahora, preparan la versión DVD de El caballo de Turín, una película alucinante de Béla Tarr. Eva sigue ¿sabías que antes de volverse loco Nietzsche abrazó a un caballo de un carruaje que resistía mientras su cochero lo golpeaba en una plaza de Turín y…? El final de la frase se pierde en el griterío. El ruido de las ruedas en los cambios de vías es ensordecedor. Le digo ¿qué? ¿qué decías? Espero lograrlo, es todo, repite Eva.

El borde destrozado del terraplén proyecta una sombra de dientes de sierra en los asientos. Eva apoya la frente contra el vidrio. Su reflejo se mezcla con el paisaje. Es la película más linda que se pueda imaginar, Abel. Un mundo que es barrido por la tormenta… En el corazón de esa tormenta, una granja… En esa granja, un padre y su hija tapiados en el silencio, y un caballo que agoniza… Afuera, el apocalipsis, las paredes se desploman, los árboles se quiebran. La humanidad va a desaparecer y con ella, el espíritu gregario y el sentimiento de pertenencia que transforman a los hombres en perros. Todo va a desaparecer, la belleza, la fealdad, el bien, el mal. Solo quedan la tierra y el cielo, el silencio y el ruido.

Eva es como esos equilibristas que caminan sobre una cuerda sin ver nada ni a nadie. Creería escuchar a Lizzie hablándome de poesía, pero hace tiempo ya que la poesía no está en el orden del día entre nosotros.

El tren tomó velocidad de crucero. Escondida detrás del pelo, Eva me observa. Tal vez se pregunta en qué quilombo se metió este joven flaco, con pantalón de franela y saco de tweed a pesar del calor, de manos huesudas, incapaz de quedarse quieto, que se rasca los antebrazos, el cuello y las mejillas. Un animal acorralado. Eva cierra los ojos. Cuando los vuelve a abrir, el mismo paisaje lúgubre se extiende hasta el horizonte.

La cólera me invade. Huyo por los suburbios con esta desconocida, en vez de estar con Lizzie y Allegra. ¡Firouz se burla de mí! No es la primera vez. No hablo de las horas extra. Hablo de acoso. Firouz sabe que Lizzie ya no es capaz de hacerle frente a nada. Por más que le repito que no llame a mi casa, que me deje respirar, no quiere ni saber.

El tren vuelve a atravesar varios cambios de vías. Deformada por el ruido, la sombra se desploma sobre mí antes de alojarse en el corazón, y yo me aferro a la vida en el griterío del vagón. Luego, la pesadilla se difumina. Recupero la calma.

Eva no se ha movido. Nuestras miradas se cruzan y yo me pierdo en sus fantasías. Estamos solos en el compartimento. Arriba de nosotros, el techo se balancea con la desidia de una lona al viento. Me desabrocho el cuello.

Desde hace un tiempo, tengo un eczema debajo de la oreja. A Allegra le salió uno en el mismo lugar. Tendremos que comprarle ropa más amplia, el calor no ayuda. Le voy a proponer a Lizzie que vayamos a hacer compras el lunes. Será un buen momento para hablar en terreno neutral y poner en marcha el Mustang que duerme a los pies de nuestro edificio. Lizzie se niega a dar el examen para la licencia de conducir. Solo los millonarios pueden manejar en Londres, me responde cuando intento convencerla. Las personas normales toman el metro.

Eva me pregunta de nuevo entonces, ¿qué te parece? Le respondo que le deseo todo el éxito del mundo, pero que su película no parece ser feliz-feliz. Miro mi reloj. Lo que es seguro es que los imbéciles no le sacarán ningún provecho, resopla Eva. Me acerca uno de sus auriculares. No intercambiamos una palabra más. Atravesamos el campo con la voz de Gil Scott-Heron. Me gusta esta música. No hace mucho, a Lizzie también le gustaba. You will not be able to stay home, brother / You will not be able to plug in, turn on and cop out / You will not be able to lose yourself on skag / And skip out for beer during commercials / Because the revolution will not be televised…No vas a poder quedarte en tu casa, amigo/ No vas a poder conectarte, prender la pantalla y escaparte/ No vas a poder perderte en la blanca/ O ir a tomar una cerveza en la publicidad/ Porque la revolución no será televisada (trad. E.G.)

***

Oslo Court, un día antes de irme al Hotel Salaam. Lizzie había lavado y puesto a secar la ropa de nuestra hija. La vieja Ruby estaba ahí; la ayudaba a vaciar el secarropas. Estoy acá, le decía, podés contar conmigo.

Entré entonces al lavadero. Le pregunté a Lizzie por qué metía la ropa de Allegra en esas bolsas del Ejército de Salvación. Estás completamente loca. Dame eso, dale, ¡a Allegra todavía le va bien! Traté de arrancar una bolsa de sus manos. Se despedazó. La ropa quedó esparcida en el suelo. Lizzie se acuclilló para levantarla. Quise impedírselo. Se puso a gritar. ¡Allegra está muerta, Abel! ¡Murió por tu culpa! Mi mano se alzó. Lizzie cayó. Ruby se me tiró encima. Agarré toda la ropa que pude y salí del lavadero. Lizzie se quedó horas ahí abajo. Sus gritos me llegaban a través del piso. Me senté en el sillón. Abrí una botella. La vacié. Lizzie no volvió a subir. Me dormí. Nada había cambiado. Ahí estaba yo, aturdido por el alcohol en ese sillón maldito. Ahí estaba, sin poder entender qué nos pasaba, igual que la madrugada en que salí a buscar una farmacia.

Sin ninguna señal mía, sin lograr ubicarme, Lizzie entró en pánico. El estado de Allegra empeoraba. Volaba de fiebre, después perdió el conocimiento. Lizzie llamó a Firuz, que llegó a casa mientras yo me emborrachaba en un estacionamiento. Firuz llamó a emergencias. Era demasiado tarde. Los médicos no pudieron reanimar a Allegra. Una meningitis fulminante, dijeron; pocas horas antes habrían podido salvar a nuestra beba.

Ya no quedaba nadie en casa cuando volví. Pensé que Lizzie y la bebita se habían dormido. No quise despertarlas. Me tiré en el sillón. A la mañana siguiente, cuando abrí los ojos, Lizzie estaba acodada sobre la mesa frente a mí; a su lado, Firuz, de pie. Allegra murió esta noche, dijo. Y no estabas. No me dejaste llamar a la ambulancia. Mataste a nuestra hija. Pero yo estaba demasiado borracho para entender lo que me decía.

Poco antes de volverse loco, Nietzsche se abrazó a un caballo obstinado. Yo no tenía a quién aferrarme. Amaneció. Dejé la bolsa de la farmacia sobre la mesa. Lizzie ni protestó. Firuz nos dejó solos. Seguí su auto con la mirada hasta la esquina, y fui a darme una ducha. Cuando salí, había recobrado la lucidez. Le dije a Lizzie que iría a preparar la mamadera.

23.30 h.

La ceremonia de apertura ya terminó. Dejo el estadio caminando para evitar los embotellamientos. Mañana vendré a buscar el Mustang. Una tormenta se aproxima. Bandas de jazz cautivan a los curiosos en la orilla. Los enamorados se sacan fotos. Los vagabundos acarician a sus perros. Londres está llena de pequeñas alegrías. Me acerco al borde del agua. Apoyo la mochila. Con el pie, la empujo al río. Se forma un remolino, un poco de espuma. El Támesis engulle mi bomba.

Cerca de Saint-Paul, compro un helado. La vendedora tiene una cicatriz en el labio, idéntica a la de Eva. La coincidencia no tiene ningún significado, pero me da de lleno en el corazón. Cada rostro dice la trivialidad de la vida a su manera. Lo que nos pasa, le pasa a todo el mundo. No soy más que un padre intentando superar la muerte de un hijo.

El dolor se va, me salva la risa, una carcajada estrepitosa como granizo sobre una chapa acanalada. La caminata de regreso, al Hotel Salaam, me arranca de las tinieblas. Mi risa es la de Lázaro levantándose de la tumba, atravesando las calles, encandilado por la luz, con los pulmones desgarrados de olores, los oídos colmados por el canto de los pájaros; es menos una caminata que una manera de titubear y de dejarme arrastrar hacia mañana, una manera de reinventar el movimiento, de hacer emerger de una profundidad glacial la imagen petrificada de mi muerte, de la muerte de mi hija, para elevarla hasta la sensación. Mi delirio se resquebraja. Londres lo dispersa a los cuatro vientos. Unos árboles altos se balancean en el bulevar. Hundo mis pasos en esa masa ondulante, un paso, luego otro, para reconstruir mi historia, para invocar el más atroz de los sufrimientos, para enfrentarlo mirándolo a los ojos.

El Hotel Salaam, rodeado de carteles de neón, se abre como una flor en la avenida. El hall está cubierto de cajas. Norlay se dedica a desembalar los nuevos catres para los dormitorios. Resuena la máquina de escribir de Luther. Subo. La puerta de mi habitación está abierta. Alguien rompió el sobre y desparramó el contenido sobre el cubrecama. No hay carta sino una polaroid de Allegra en brazos de su madre el día del nacimiento y unas margaritas disecadas. También hay un recorte de diario con el aviso del funeral de nuestra beba. Fue un viernes. Vuelvo a colocar el sobre roto en el borde de la ventana. Levanto la hoja de vidrio. Aquí estoy, entregado a la banalidad de los días. (trad. E.D.)

Published March 13, 2018
Translations carried out during the 2016 Autumn Literary Translation School workshop at IES Lenguas Vivas “Juan Ramón Fernández” coordinated by Gabriela Villalba.
© La Table Ronde 2016


Other
Languages
French
Italian
Spanish
Italian
French

Specimen. The Babel Review of Translations e Suisse Pride dedicano all’autore recentemente scomparso un doppio ritratto a cura delle sue traduttrici Monica Pavani e Luciana Cisbani, che lo presentano a Milano domenica 25 marzo 2018 alle 16 nell’ambito di Book Pride (www.bookpride.net). Con il sostegno della Fondazione svizzera per la cultura Pro Helvetia.

Specimen. The Babel Review of Translations et Suisse Pride consacrent à l’écrivain récemment disparu un double Portrait, par ses deux traductrices Monica Pavani et Luciana Cisbani, qui viendront le présenter à Milan dimanche 25 mars 2018 à 16h dans le cadre du Book Pride (www.bookpride.net). Avec le soutien de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia.


Your
Tools
Close Language
Close Language
Add Bookmark