Détartre et désinfecte

Written in French by Éric Chevillard

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On me parle et je ne comprends rien. Et quand je crois comprendre, je comprends mal, je comprends de travers, je comprends autre chose. Mieux vaut encore ne rien comprendre du tout. J’ai une satisfaction pourtant, je ne suis pas seul dans ce cas. Ainsi quand je parle, personne ne comprend rien non plus. On ne me comprend pas ou on me comprend mal, on me comprend de travers, on comprend autre chose. Mieux vaut encore ne rien comprendre du tout, c’est exactement ce que je disais. Ce que je me disais, enfin, car il serait bien inutile de le dire à qui que ce soit ici, je pourrais aussi bien affirmer le contraire, ce ne serait pas mieux compris. Autant le taire, donc, autant me taire. Et ils devraient en faire autant, nous cesserions tous de nous méprendre, ce serait déjà ça. Mais il y a des silences trompeurs aussi. Toute communication serait-elle impossible ?

Je me trouve loin des terres où ma langue est parlée, vous l’aurez compris. Vraiment, vous l’aviez compris ? Si vous saviez comme c’est agréable de réussir à s’entendre sans gesticuler ni écorcher l’anglais déjà égorgé par les Américains. Je m’y refuse absolument, d’ailleurs, tout comme je refuse d’achever à la winchester les derniers Mohicans. Cet anglais d’aéroport informatif et fonctionnel qui tolère l’accent chinois et l’accent uruguayen semble plutôt avoir été mis au point pour le petit trafic des fourmis. Je n’ai rien à leur vendre ni rien à leur acheter.

Je me trouve loin des terres où ma langue est parlée et c’est soudain comme si ne sortait de ma bouche que du bruit. Au lieu de ces phrases bien tournées que je formule ordinairement sans même y penser, des éructations insensées. Même quand je me parle à moi-même désormais, je ne suis pas tout à fait sûr de bien comprendre. Je devine en gros où je veux en venir, mais je me trompe quelquefois. II m’arrive du coup d’agir contre mes intérêts ou de rater un événement auquel je m’étais promis d’assister. Si au moins je progressais en même temps dans la compréhension de la langue parlée ici. II n’en est rien. Il n’y a pas de compensation, aucune justice. Ce que je perds d’un côté ne m’est pas rendu de l’autre. Je dois me contenter du soulagement d’être enfin comme tout le monde sur ce point, aussi incompréhensible à moi-même qu’aux autres. C’est insuffisant toutefois pour que je me sente vraiment appartenir à une communauté solidaire. L’émotion est à peu près absente de l’expérience.

C’est le moment que je choisis pour aller me rafraîchir aux toilettes du restaurant où je déjeune seul d’un plat de caroncules de pintade aux navets crus que j’ai commandé en pointant au hasard une ligne de l’indéchiffrable carte des menus.

Comme je me lave les mains, je remarque un boîtier de plastique blanc intégré à la robinetterie sur lequel je lis ceci : DÉTARTRE ET DÉSINFECTE. Oui, vous avez bien lu vous aussi ces mots écrits, en bon français, en excellent français, DÉTARTRE ET DÉSINFECTE, ces mots intelligibles, qui s’inscrivent clairement à présent dans mon esprit redevenu lucide et même pénétrant.

Et c’est mon pays lointain qui m’est rendu instantanément du même coup, ses fraîches odeurs de mousse, d’ajoncs et de lilas, ses ruisseaux qui chantent entre les pierres notre vieux répertoire réaliste, ses petits animaux des hautes herbes, le campagnol, la musaraigne, ah !, puis la neige sur ses vallons, le sable si fin de ses plages… Et j’incline la tête pour boire à longs traits au jet de ce robinet, je sais que la plomberie est saine, que tout l’appareil industriel de mon pays y veille, que nos ingénieurs sont sur le coup, qu’ils détartrent et désinfectent activement, que les mots de ma langue ne m’abandonnent pas non plus dans mon exil.

Et l’eau délicieuse qui éclabousse mon visage se mêle à mes larmes.

Published January 20, 2022
Excerpted from Éric Chevillard, Détartre et désinfecte, Fata Morgana, Saint Clément 2017
© Éric Chevillard 2017
© Fata Morgana 2017

Descales and disinfects

Written in French by Éric Chevillard


Translated into English by Jordan Stump

People talk to me and I don’t understand a word. And when I think I do understand, I misunderstand, I understand the wrong way, I understand the wrong thing. Better not to understand at all. I do have this consolation: I’m not the only one. I talk to people and they don’t understand a word either. They don’t understand, or they misunderstand, they understand the wrong way, they understand the wrong thing. Better not to understand at all, just as I was saying. Saying to myself, that is, there wouldn’t be much point in saying it to anyone here, I could just as easily argue the opposite, they wouldn’t understand that any better. Best not to talk about it, then, best not to talk at all. And they could do the same, and then we’d all stop misunderstanding each other, and that would be something, at least. But there are such things as deceptive silences too. Is all communication impossible, then?

I’m a long, long way from the lands where my language is spoken, as you will have understood. Really, you understood that? If you only knew how nice it is to convey a meaning without gesticulating wildly or further mangling the English language, already gravely mauled by the Americans. I will not do it, I simply refuse, just as I refuse to wipe out the last of the Mohicans with a Winchester. That purely informational, functional airport English, as amenable to the Chinese accent as to the Uruguayan, could just as well have been devised for the little business dealings of ants. I have nothing to sell them and nothing to buy from them.

I’m a long, long way from the lands where my language is spoken, and suddenly it’s as if all that comes from my mouth is wind. Gone are the elegant turns of phrase I’m used to spinning without a second thought: now there are only meaningless belches. Even when I talk to myself, I’m not sure I understand. I can vaguely make out what I’m driving at, but even there I can easily get it wrong. And hence, sometimes, I act counter to my own interests, and hence I miss events I’d promised to attend. If only, through all of this, I was making some sort of progress in my understanding of the language they speak here. But no. What I lose on one side is not regained on the other. I have to make do with the meager solace of knowing that I’m finally just like other people, as incomprehensible to myself as to everyone else. But that’s hardly enough to fill me with a genuine sense of community, of solidarity.  The whole experience is essentially lacking in anything like emotion.

And with that I set off to freshen up in the restroom of the restaurant where I’m dining alone on a dish of guinea-fowl wattles with raw turnips, which I ordered by pointing randomly to a line on the indecipherable menu. As I wash my hands, my eye lands on a white plastic dispenser fitted to the plumbing, on which I read these words: DÉTARTRE ET DÉSINFECTE [descales and disinfects]. Yes, you too just read those words, written in good French, in excellent French, DÉTARTRE ET DÉSINFECTE, those intelligible words now imprinting themselves in my mind, which at once rediscovers its lucidity, even its perspicacity.

And my faraway land comes rushing back to me, its fresh scents of moss, gorse, and lilac, its stone-lined brooks babbling our old realist repertory, its fauna of the tall grasses, the mole, the shrew, ah! and then the snow in its mountain valleys, the fine sand of its beaches… And I bend down to drink long drafts from that faucet, I know the plumbing is safe, the whole industrial apparatus of my land is watching over it, our engineers are on the case, actively descaling and disinfecting, and neither have the words of my language abandoned me here in my exile.

And the delicious water that splashes my face mingles with my tears.

Published January 20, 2022
© Éric Chevillard 2017
© Fata Morgana 2017
© Specimen 2021

Disincrosta e disinfetta

Written in French by Éric Chevillard


Translated into Italian by Gianmaria Finardi

Mi parlano e non capisco niente. E quando credo di capire, capisco male, capisco una cosa per un’altra, capisco tutt’altro. Meglio allora non capire niente affatto. Unica soddisfazione, non sono il solo in questo caso. Così anche quando parlo io, nessuno capisce niente. Non mi capiscono o mi capiscono male, capiscono una cosa per un’altra, capiscono tutt’altro. Meglio allora non capire niente affatto, è esattamente quel che dicevo. Quel che mi dicevo, insomma, perché sarebbe ben inutile dirlo a chiunque qui, potrei altrettanto bene affermare il contrario, non sarebbe capito meglio. Tanto vale tacerlo, dunque, tanto vale che io taccia. E loro dovrebbero fare altrettanto, la smetteremmo tutti di confonderci, sarebbe già qualcosa. Ma ci sono anche dei silenzi ingannevoli. Sarebbe impossibile qualsiasi comunicazione?

Mi trovo lontano dalle terre in cui la mia lingua viene parlata, l’avrete capito. Veramente, l’avete capito? Se sapeste com’è bello riuscire a intendersi senza gesticolare né storpiare l’inglese già sgozzato dagli Americani. Io mi rifiuto assolutamente di farlo, del resto, così come mi rifiuto di finire con il winchester gli ultimi Moicani. Questo inglese da aeroporto informativo e funzionale che tollera l’accento cinese e l’accento uruguaiano sembra piuttosto essere stato messo a punto per il piccolo traffico delle formiche. Non ho niente da vendergli né niente da comprar da loro.

Mi trovo lontano dalle terre in cui la mia lingua viene parlata e improvvisamente è come se dalla mia bocca uscisse solo rumore. In luogo di quelle frasi ben costruite che formulo ordinariamente senza neanche pensarci, delle eruttazioni insensate. Persino quando parlo tra me e me ormai, non sono affatto sicuro di capire bene. Indovino a grandi linee dove voglio arrivare, ma mi sbaglio a volte. Mi succede a un tratto di agire contro i miei interessi o di perdere un evento a cui mi ero ripromesso di assistere. Se almeno progredissi allo stesso tempo nella comprensione della lingua parlata qui. Non è affatto così. Non c’è compensazione, nessuna giustizia. Quel che perdo da una parte non mi viene restituito dall’altra. Devo accontentarmi del sollievo di essere alla fine come tutti su questo punto, tanto incomprensibile per me stesso quanto per gli altri. Non mi basta però per farmi sentire veramente di appartenere a una comunità solidale. L’emozione è pressappoco assente dall’esperienza. 

È il momento che scelgo per andare a rinfrescarmi nella toilette del ristorante in cui pranzo solo con un piatto di caruncole di faraona e pizza fredda che ho ordinato puntando a caso una riga dell’indecifrabile menù. Mentre mi lavo le mani, io, noto una cassetta di plastica bianca integrata nella rubinetteria su cui leggo questo: DÉTARTRE ET DÉSINFECTE. Sì, avete letto bene anche voi queste parole scritte in un buon francese, in un eccellente francese, DISINCROSTA E DISINFETTA, queste parole intellegibili, che si inscrivono ora a chiare lettere nella mia mente ridiventata lucida e persino penetrante. 

Ed è il mio paese lontano che mi viene restituito istantaneamente allo stesso tempo, le sue fresche fragranze di muschio, ginestrone e lillà, i suoi ruscelli che cantano tra le pietre il nostro vecchio repertorio realista, i suoi piccoli animali nell’erba alta, il campagnolo, il toporagno, ah!, poi la neve sui suoi valloni, la sabbia così fine delle sue spiagge… E io chino la testa per bere a lunghi sorsi dal getto di questo rubinetto, so che le condutture sono sane, che tutto l’apparato industriale del mio paese se ne prende cura, che i nostri ingegneri sono sul pezzo, che loro disincrostano e disinfettano attivamente, che le parole della mia lingua non mi abbandonano nemmeno durante il mio esilio.

E l’acqua deliziosa che mi schizza il viso si mescola alle lacrime. 

Published January 20, 2022
© Éric Chevillard 2017
© Fata Morgana 2017
© Gianmaria Finardi 2021


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