Nous deux, Tonino et moi, on n’aurait jamais imaginé ce qui allait arriver – Paris au-dessus de nos têtes et cette fois on ne s’y arrêterait pas. On a glissé sous Paris et les wagons du métro filaient vers la gare du Nord, sans que ni Tonino ni moi ne nous disions, tiens, et si on s’arrêtait quand même voir le temps et l’argent qu’on n’a pas nous filer entre les doigts ? Non, on ne s’est pas arrêté, on a filé comme ça jusqu’en Belgique, sans regarder la France et le temps qu’on laissait derrière nous, sans attendre que Tonino agite ses mains, larges comme on imagine celles d’un boxeur ou d’un désosseur de vieilles voitures, en spatules, carrées, robustes, pour nous promettre des moments formidables.
Tonino aimait se servir de ses mains pour faire semblant de menacer – touche le cul de ta sœur ! grognait-il quand il avait bu, avant de promettre à celui qui s’attardait trop longtemps devant lui de lui envoyer un coup de surin – il me semble que je ne l’ai pas entendu une seule fois utiliser un autre mot que celui-ci, surin – menace qu’il mimait d’un geste ample et savant mais sans jamais la présence d’une lame, seulement le geste, censé édifier le premier qui passait à sa portée. Mais on rigolait trop dans les bars pour ne pas voir que tout ça finirait dans une mare de bière plutôt que de sang ; eh oui, mon Tonino, t’es encore rond comme une queue de pelle ! Et le plus souvent il s’endormait soûl et parfois en ronflant, sur le coup des quatre ou cinq heures du matin, contre les seins épais et blancs d’une rousse oubliée au comptoir par sa copine, ou bien, le plus souvent, entre les bras de ce vieux copain qui ressemblait à Lucky Luke comme deux gouttes d’eau.
Comment s’appelait-il ? Tiens, je ne sais plus comment il s’appelait celui-là… Je sais juste que souvent les soirées finissaient comme à tutoyer le diable. On finissait par s’engueuler haut et fort, on en faisait des tonnes pourvu qu’on ait un minimum de spectateurs et, souvent, plus d’une des grandes mèches bouclées de Tonino ont fini entortillées entre les boutons marron de ce manteau de couleur ocre que j’avais trouvé un soir, en rentrant chez moi, plié au-dessus d’une poubelle à côté de la gare. C’était un raccourci que je prenais les nuits où l’on ne finissait pas au poste, comme ça nous arrivait assez régulièrement parce que, hélas, on avait nos habitudes, pisser sur les bégonias de la mairie, labourer les terre-pleins à coup de talons – je nous entends encore, place de la Mairie, non, non, monsieur l’agent, je vous jure, promis, je voulais juste cueillir à coups de talons des vieilles fleurs pour ma jeune mère, et l’autre, hop, suffit, vous me raconterez ça au poste !
Et ces badges de U2 et de Prince qui servaient à rafistoler le pan du manteau que, sur le haut du côté gauche, Tonino avait déchiré un soir où l’on s’était encore vaguement agrippé – j’avais crié, saligaud ! et ça l’avait fait rire ; il avait haussé les épaules en gloussant, oh, merde, et moi, furieux, mon pardessus ocre marron trouvé bien plié, voilà, déchiré. Alors j’avais trouvé des badges pour faire couture. Pourquoi je parle de ça ? Pourquoi pas. Au moins, de parler de l’hiver et de cette époque-là, si ça me remue c’est de joie, de la nostalgie, de ce qu’on voudra,
je m’en fous.
Mais parler du soleil, parler encore de ce soleil-là et du bras d’honneur qu’on lui faisait, je me dis que ça ne me tente pas. Le soleil, celui de ce jour-là, je me dis, pas sûr que ce soit mieux d’en parler, pas sûr que j’aie envie.
Published May 13, 2025
© Laurent Mauvignier
© Les Éditions de Minuit, 2006
Noi due, io e Tonino, non avremmo mai immaginato quello che sarebbe successo – Parigi sopra le nostre teste e questa volta non ci saremmo fermati. Siamo scivolati sotto Parigi e i vagoni della metro filavano verso la gare du Nord, senza che né io né Tonino ci dicessimo, ecco, e se ci fermassimo lo stesso per vedere il tempo e il denaro che non abbiamo scivolarci via dalle mani? No, non ci siamo fermati, siamo filati così fino in Belgio, senza guardare la Francia e il tempo che ci lasciavamo alle spalle, senza aspettare che Tonino muovesse le mani, larghe come immaginiamo siano quelle di un pugile o di uno sfasciacarrozze, a spatola, quadrate, robuste, per prometterci grandi momenti.
A Tonino piaceva usare le mani per far finta di minacciare – tocca il culo di tua sorella! ringhiava quando aveva bevuto, prima di promettere a quello che si attardava troppo a lungo davanti a lui di colpirlo con un saccagno – mi sembra di non averlo sentito neanche una volta usare una parola diversa da questa, saccagno – minaccia che mimava con un gesto ampio ed eloquente ma mai che ci fosse una lama, solo il gesto, che avrebbe dovuto informare il primo che gli capitava a tiro. Ma nei bar ridevamo così tanto da non vedere che tutto questo sarebbe finito in un lago di birra anziché di sangue; eh già, caro Tonino, sei di nuovo ubriaco fradicio! E il più delle volte si addormentava sbronzo, a volte russando, verso le quattro o le cinque del mattino, sul seno pieno e bianco di una rossa dimenticata al bancone dalla sua amica, oppure, molto spesso, tra le braccia di quel suo amico che somigliava a Lucky Luke come due gocce d’acqua.
Com’è che si chiamava? Toh, non mi ricordo come si chiamava quello là… So solo che spesso le serate finivano in un parapiglia del diavolo. Finivamo per urlarci addosso, esageravamo pur di avere un minimo di spettatori e, spesso, più di una lunga ciocca ricciuta di Tonino finiva attorcigliata tra i bottoni marroni di quel cappotto color ocra che avevo trovato una sera, tornando a casa, piegato sopra un bidone della spazzatura vicino alla stazione. Era una scorciatoia che prendevo le notti in cui non finivamo in commissariato, come ci accadeva abbastanza regolarmente perché, purtroppo, avevamo le nostre abitudini, pisciare sulle begonie del municipio, solcare le aiuole spartitraffico a colpi di tacco – mi sembra ancora sentirci dire in place de la Mairie, no, no, signor agente, giuro, le assicuro, volevo solo cogliere a colpi di tacco fiori vecchi per mia madre, e l’altro, ora basta, me lo racconterete in commissariato!
E quei badge degli U2 e di Prince che servivano a rattoppare il lembo del cappotto che, in alto a sinistra, Tonino aveva strappato una sera in cui ci eravamo azzuffati – ho urlato, stronzo! e gli era venuto da ridere; aveva alzato le spalle ridacchiando, oh, merda, e io furibondo, il cappotto marrone ocra che avevo trovato piegato per benino, ecco, strappato. Allora avevo trovato dei badge per ricucire. Perché ne parlo? Perché no. Almeno parlando dell’inverno e di quell’epoca, se mi commuovo è per la gioia, la nostalgia, per quel che si vuole,
chissenefrega.
Ma parlare del sole, parlare ancora di quel sole e del gesto dell’ombrello che gli facevamo, mi dico che non mi tenta. Il sole, quello di quel giorno, mi dico, non è detto che parlarne sia meglio, non è detto che ne abbia voglia.
Published May 13, 2025
© Laurent Mauvignier
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