Badaboum

Written in French by Seynabou Sonko

Add

Quand je suis retournée la chercher dans le bureau de la psy, Mami était déjà partie, alors je suis rentrée chez moi en bus, en mode j’suis pas toute seule dans ma tête. Mon djinn était là avec moi, et pour la première fois depuis l’internement de Jimmy, je me suis demandé si moi aussi j’étais pas atteinte de schizophrénie sur les bords. S’il y avait bien un symptôme qu’on avait en commun Jimmy et moi, c’était l’oubli. Chez lui c’était instantané, chez moi continu. Quand personne n’était là pour me le rappeler, j’oubliais que j’étais noire, j’oubliais que j’avais un djinn blanc, j’oubliais, et oublier d’être noire c’est comme avoir une garde trop basse en boxe. 

Le bus était bondé, mais mon djinn et moi on a réussi à trouver une place assise pépère, jusqu’à ce qu’une femme blanche me demande à moi de lui céder ma place. 

Classique ! Mon djinn m’a tout de suite vue venir, on s’est demandé pourquoi qu’elle venait nous casser les reins cette bonne femme, alors qu’il y avait des hommes et des femmes tout aussi jeunes et en bonne santé dans ce bus bondé. Elle s’était dirigée vers moi avec dans les yeux une immense détermination, vers moi qui étais pourtant à l’autre bout du bus, vers moi, seule femme pas blanche du bus, pour me demander de lui céder mon siège, avec pour seul alibi un marmot qui s’accrochait à sa jambe comme à un cornet de glace. Mon djinn a dit que ce n’était pas le moment de se poser toutes ces questions, il m’a demandé ce que je comptais faire. Il fallait répondre vite. Moi j’étais carrément partante pour qu’on lui dise d’aller se faire voir, mais mon djinn il tenait à sa réputation, il a dit qu’il valait mieux lui suggérer d’aller proposer à l’homme noir-­noir là-­bas de lui céder sa place. 

Sur le coup, je l’ai pas validée du tout sa suggestion, pourquoi était-­elle venue nous voir nous si ce n’était pas précisément notre place qu’elle voulait ? 

J’ai dit à mon djinn que c’était pas une bonne idée parce que si elle n’avait pas traversé l’esprit de cette femme, il y avait une bonne raison. C’est bien connu, les hommes noirs sont violents, surtout dans le bus. Les femmes blanches, même quand elles sont enceintes et sur le point d’accoucher, elles ont trop peur de demander à des hommes noirs de leur céder leur place, au cas où ils leur fouetteraient une bonne grosse droite en plein milieu du ventre. Par contre moi, j’étais ce qu’il y avait de plus inoffensif, celle sur qui était tatoué « négresse » sur le front. 

Alors avant de céder, j’ai proposé à mon djinn qu’on suggère à la femme d’attendre une Arabe, ou encore la prochaine Asiatique qui viendrait précisément s’asseoir sur ce siège, si elle y tenait autant. Mon djinn commençait méga à s’impatienter, et c’était tellement la cohue dans ma tête que le seul mot qui est sorti de ma bouche c’est :« Badaboum ! »

La femme, je crois qu’elle a eu peur parce qu’elle a vite fait demi-­tour. Parmi les hommes qui étaient témoins, aucun n’a cédé sa place. Et elle avait pas l’air très motivée pour tenter sa chance auprès d’eux.

 

Mon djinn trouvait que j’exagérais, et comme souvent je n’ai pas pu lui dire que ce qui venait de se passer n’était pas un cas isolé. Lui rappeler les deux autres fois où cela m’était arrivé, femme blanche, moi noire, le même scénario avec des petites nuances, ç’aurait été inutile puisque ces jours-­là il dormait. Il me trouvait parano. Et moi j’étais à deux doigts de couper les ponts avec lui, mais j’ai fini par lui pardonner, pas à la bonne femme, à mon djinn, parce que j’avais pas vraiment le choix.

Parfois, j’avais du mal à l’écouter, je le négligeais, le reniais même, mais il avait une qualité que je lui enviais : il savait anticiper. Dans ses bons jours, il me disait d’éviter telle ou telle personne qui allait me demander mon avis sur tel film où y a des Noirs qui jouent dedans, et même si j’étais pas toujours d’accord avec lui, parce que j’adore parler de films pendant des heures moi, je savais que je pouvais lui faire confiance, surtout quand il jurait sur le Coran de La Mecque que le film en question je ne l’avais pas vu, et que pour une fille sur lequel est tatoué « négresse », ça craint de ne pas avoir d’opinion critique sur un film où y a des Noirs qui jouent dedans et qu’on a même pas vu. Mon djinn disait aussi que si en plus je n’étais pas capable de parler de Dakar et de sa corniche avec ferveur et engouement, valait mieux que je passe mon chemin, d’aller là où on m’apprécierait pour ce que je suis, pas pour ce que je représente.

Published August 18, 2025
From Djinns © Grasset 2023

Badabum

Written in French by Seynabou Sonko


Translated into Italian by Annalisa Romani

Quando sono tornata a prenderla nello studio della psichiatra Nonna era già andata via, allora sono tornata a casa in autobus, come una schizzata. C’era il mio jinn lì con me e per la prima volta dal ricovero di Jimmy mi sono chiesta se fossi pure io un tantino schizofrenica. Se c’era un sintomo che avevamo in comune io e lui era proprio l’oblio. Il suo era istantaneo, il mio era continuo. Quando non c’era nessuno a farmici pensare me lo scordavo d’essere nera, d’avere un jinn bianco, lo scordavo, e scordarsi d’essere nera è come avere una guardia troppo bassa nel pugilato. 

Il bus era zeppo, ma il mio jiin e io ci siamo trovati un bel posticino libero, fino a quando una donna bianca è venuta da me a chiedermi il posto.

Un classico! Il jiin m’ha capito al volo, ci siamo chiesti perché proprio a noi doveva mettere in croce la signora, tra la balda gioventù di quel bus così zeppo. S’era diretta verso di me con gli occhi carichi di una determinazione profonda, verso di me che tuttavia ero all’altro capo del bus, verso di me, l’unica donna non bianca del bus, per chiedermi di darle il posto, con l’unico alibi del moccioso attaccato alla gamba come a un cono gelato. Il jiin m’ha detto che non era il momento di porsi tutte quelle domande, mi ha chiesto cosa intendessi fare. Dovevo rispondere in fretta. Ero ovviamente d’accordo per mandarla al diavolo, ma il jiin ci teneva alla reputazione e ha detto che era meglio dirle di chiedere il posto all’uomo nero-nero laggiù.

Sul momento non l’ho proprio accolto il suggerimento, se era venuta da noi magari voleva precisamente il nostro, di posto.

Ho detto al mio jiin che non era un’ideona, che se non era venuta in mente alla signora doveva esserci una buona ragione. È risaputo, gli uomini neri sono violenti, soprattutto negli autobus. Le donne bianche pure se incinte e lì lì per partorire, hanno troppa paura di chiedere a uomini neri di cedere il posto, non sia mai sferzassero una sberla sulla pancia. Invece io, ero quanto di più inoffensivo ci fosse, quella con stampato «negretta» in fronte.

Allora prima di cedere ho proposto al mio jiin di suggerire alla donna di attendere un’araba o la prossima asiatica che avrebbe occupato proprio quel sedile, se ci teneva tanto. Il mio jiin cominciava a spazientirsi di brutto e avevo una tale calca nella testa che l’unica parola che m’è uscita dalla bocca è stata: «Badabum!»

La donna secondo me ha avuto paura perché ha girato i tacchi. Tra gli uomini testimoni nessuno le ha ceduto il posto. E lei non pareva così motivata da riprovarci con loro.

 

Il mio jiin trovava che esagerassi, e come sempre non ho potuto dirgli che quel che era appena accaduto non era un caso isolato. Ricordargli quelle altre due volte in cui mi era successo, lei donna bianca, io nera, stessa scena ma con lievi sfumature, sarebbe stato inutile perché quel giorno dormiva. Mi trovava paranoica. E io ero a un pelo dal tagliare i ponti con lui, ma alla fine ho perdonato, non la signora, il mio jiin, perché non è che avessi molta scelta.

Talvolta avevo difficoltà ad ascoltarlo, lo trascuravo, lo rinnegavo addirittura, ma aveva una qualità che gli invidiavo: sapeva anticipare. Nei suoi giorni buoni mi diceva di evitare quella o quell’altra persona che mi avrebbe chiesto un parere sul film in cui recitavano neri, e anche se non ero sempre d’accordo con lui, perché io adoro parlare per ore dei film, sapevo che potevo dargli fiducia, soprattutto quando giurava sul Corano della Mecca che il film in questione non l’avevo visto, e che per una con tatuato «negretta» non sta bene non avere un’opinione critica su un film dove recitano neri e non averlo manco visto. Il mio jiin diceva pure che se neanche ero capace di parlare di Dakar e della sua corniche con invaghimento e fervore tanto valeva tirare dritto, andare là dove sarei stata apprezzata per quel che sono, non per quel che rappresento.

Published August 18, 2025
From Djinns © Grasset 2023

Catapum

Written in French by Seynabou Sonko


Translated into Spanish by Sofia Traballi

Cuando volví a la consulta de la psiquiatra, la abu ya se había ido, así que regresé a casita sola, en autobús. Iba en modo «hay alguien más en mi cabeza»; mi djinn estaba ahí conmigo y, por primera vez desde la internación de Jimmy, me pregunté si no estaría yo también un poco esquizofrénica. Si Jimmy y yo teníamos un síntoma en común, era el olvido. En él era instantáneo; en mí, continuo. Cuando no había nadie para recordármelo, olvidaba que era negra, olvidaba que tenía un djinn blanco, me olvidaba, y olvidarse de que una es negra es como tener la guardia demasiado baja en boxeo.

Aunque el autobús estaba repleto, mi djinn y yo pudimos sentarnos tranquilamente. Hasta que una mujer blanca me pidió que le cediera el asiento.

¡Típico! Mi djinn enseguida me vio venir, y ambos nos preguntamos por qué esa buena señora tenía que jodernos justo a nosotros, cuando en ese autobús repleto había hombres y mujeres igualmente jóvenes y saludables. Había caminado hacia mí con una inmensa determinación en la mirada, aunque yo estuviera en la otra punta del vehículo, hacia mí, la única mujer no blanca del autobús, para pedirme que le cediera el asiento, teniendo como único pretexto un mocoso que se aferraba a su pierna como a un cucurucho de helado. Mi djinn dijo que no era el momento de plantearse todas esas cuestiones y me preguntó qué pensaba hacer. Debía responder rápido. La verdad, yo era firme partidaria de mandarla a la mierda, pero mi djinn, que quería conservar su buena reputación, consideró que lo mejor era sugerirle a la señora que le pidiera el asiento a ese hombre bien negro de allí.

Al principio, no acepté su sugerencia. ¿Por qué la mujer iba a venir hacia nosotros, si no era porque quería precisamente nuestro asiento? 

Le dije a mi djinn que debía haber una buena razón para que a ella no se le hubiera pasado por la cabeza hacer otra cosa. Es sabido que los hombres negros son violentos, sobre todo en el autobús. Las mujeres blancas, incluso estando embarazadas y a punto de parir, no le piden el asiento a un hombre negro por miedo a recibir un buen derechazo en la panza. En cambio, yo era lo más inofensivo que podía haber: tatuado en mi frente se leía «Soy negra». 

Por eso, antes de ceder, le dije a mi djinn que le sugiriéramos a la señora que si tanto quería ese asiento se esperara a que viniera a ocuparlo la próxima mujer árabe o asiática y se lo pidiera. Mi djinn había empezado a perder la paciencia, y había tanto barullo en mi cabeza que la única palabra que salió de mi boca fue: «¡Catapum!».

Creo que a la mujer le dio miedo, porque se dio media vuelta rápidamente. De los hombres que fueron testigos, ninguno le cedió el asiento. Y ella no parecía muy motivada para probar suerte con ellos.

 

Mi djinn pensaba que yo exageraba. Como de costumbre, no pude decirle que lo que acababa de ocurrir no era un caso aislado. Recordarle las otras dos veces en las que me había pasado eso –mujer blanca, yo negra, misma escena con leves matices– habría sido inútil porque esos días él estaba durmiendo. Mi djinn me consideraba paranoica. Y estuve a punto de cortar relaciones con él, pero terminé perdonando, no a aquella buena señora, sino a mi djinn, porque en realidad no tenía opción. 

A veces me costaba escucharlo, lo ignoraba, incluso renegaba de él, pero mi djinn tenía una cualidad envidiable: sabía anticiparse. En sus días buenos, me decía que evitara a tal o cual persona que me iba a preguntar mi opinión sobre tal o cual peli donde actuaban negros, y aunque no siempre estuviera de acuerdo con él, porque yo podría pasarme horas hablando de pelis, sabía que podía confiar en su criterio, sobre todo cuando me juraba sobre el Corán de La Meca que yo no había visto la peli en cuestión, y que una chica que lleva tatuado en la frente «Soy negra» no pinta que pueda tener una opinión crítica sobre una peli donde trabajan negros y que ni siquiera ha visto. Mi djinn también decía que, si encima yo no era capaz de hablar de Dakar y sus costas con fervor y entusiasmo, más me valía seguir mi camino e irme a donde me apreciaran por lo que era y no por lo que representaba.

Published August 18, 2025
From Djinns © Sigilo 2024


Other
Languages
French
Italian
Spanish
English

In 2025, Babel Festival celebrates its twentieth anniversary.
Since 2006, Babel has brought writers and poets to the stage of the Teatro Sociale in Bellinzona to tell their stories and discuss their work, the craft of writing, and their relationship with language. More often than not, they have done so alongside their translators, privileged interlocutors who know the original texts more intimately than anyone else. For every translated book is written twice—and has, in fact, two authors.
To mark the occasion, Specimen is publishing a special dossier devoted to the festival, retracing the geographies we have crossed together through a selection of texts by some of the voices that have accompanied us on this long journey.
From Europe to the Middle East, from Africa to the Americas, the dossier gathers previously unpublished texts—in both the original languages and in translation—spanning Turkish and Georgian, Russian and Spanish, Caribbean English and Brazilian Portuguese.
It features: Goffredo Fofi, Giorgio Orelli, Derek Walcott, Ismail Kadare, Jamaica Kincaid, Mikhail Shishkin, Elena Botchorichvili, Roberto Bolaño, Ilide Carmignani, Adam Zagajewsky, Patrick Chamoiseau, Elizabeth Walcott-Hackshaw, Linton Kwesi Johnson, Aslı Erdoğan, Irvine Welsh, Silvia Pareschi, Kader Abdolah, Frédéric Pajak, Jean Echenoz, Georgi Gospodinov, Seynabou Sonko, Roberto Francavilla.


Your
Tools
Close Language
Close Language
Add Bookmark