Il y a un homme seul

Written in French by Frédéric Pajak

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C’est au bord de la mer, ou d’un lac, quelle importance ? La plage et les alentours sont vides. Il y a un homme seul, très loin, comme un point. Il vient à ma rencontre. Je devine son pas qui glisse sur le sable et les galets. On dirait qu’il boîte un peu, mais ce n’est qu’une impression : il traîne, il se traîne. Les nuages jettent leur ombre sur lui, puis à son tour le soleil l’accable. Il n’est plus très loin de moi. Je commence à distinguer son visage. Il m’observe lui aussi, en souriant bêtement, ça y est, je le reconnais : c’est moi. Qui, moi ? Eh bien moi qui vient à moi. Il me prend dans ses bras, m’embrasse sur les joues. Il a l’air gentil, mais tellement plus vieux que moi. Il me dit comme ça :

— Tu n’as pas changé.

Je réponds :

— Toi, si.

— Profite de me voir, rétorque-t-il, je n’en ai plus pour longtemps.

— Ah ? fais-je mine de m’apitoyer.

— Oui, mon petit, poursuit-t-il, je passe, je ne fais que passer.

— Et où vas-tu, mon vieux ?

— Ah, si je le savais. Mais je ne sais pas, et même si je le savais, je ne t’en dirai pas plus.

— Que de mystère, dis-moi !

— Moque-toi seulement de moi, c’est ton genre : toujours te foutre de la gueule du monde, espèce de petit connard prétentieux, narcissique, insolent, et j’en passe !

Je lui réponds :

— Vieux con, dégage de mon bout de ciel, de ma plage vide ! Va te voir ailleurs j’y suis !

— Petit merdeux !

Et voilà, c’est tous les jours la même chose : dès qu’il y a trop de soleil, trop de vent, trop de ciel sur ma tête, je m’assieds sur la plage tout seul, toujours tout seul, et je compte les heures à m’emmerder. Je regarde les vagues jamais pareilles et pourtant tout cette agitation de crachats mousseux ne varie guère. Et ce bruit, cette rumeur, ce sifflement du vent.

Parfois passe un bateau au bout de l’horizon et s’efface. Parfois des oiseaux viennent criailler dans le coin. Des chiens perdus traînent en sanglotant, sans jamais m’approcher.

Et puis, plus rien. Juste ce vieux con qui vient à ma rencontre, me serre dans ses bras, m’embrasse sur les joues et vient me dire que lui c’est moi ou que moi c’est lui, et toutes ces conneries. On finit toujours par s’engueuler avant qu’il ne disparaisse dans la brume ou dans le soir qui tombe. Je fixe le dernier morceau de soleil qui coule à pic au fond de la mer ou du lac. Je m’emmerde. Alors j’enfile mon pull-over, je me lève et je me traîne jusqu’à l’hôtel désert. Je prends une douche, je descends dans la salle à manger vide. La vieille patronne qui finit sa vie ici me sert mon potage, un bout de poisson ou des fruits de mer avec des frites, un yaourt et bonsoir bonne nuit.

Je n’allume pas la lumière ni le téléviseur. Je fixe le plafond et je m’emmerde jusqu’au moment où le sommeil gagne.

Je dors. Je ronfle. Je ne rêve plus.

Je me réveille et c’est reparti pour la même journée. Je me traîne jusqu’à la plage, m’assieds à la même place.

Je suis seul, toujours tout seul. À midi je vais bouffer des moules, des crevettes ou un truc dans le genre et je retourne aussi sec sur la plage, en attendant la fin du jour quand le vieux con se ramène et qu’on se redit les mêmes conneries : toi c’est moi et moi c’est toi ; toi t’es un vieux con et moi un petit merdeux.

Tout ça, ça a duré un bon moment, quelques années peut-être, jusqu’au jour où le vieux con n’est plus venu, parce que lui, c’était vraiment moi.

Published October 21, 2025
© 2025 Frédéric Pajak

C’è un uomo da solo

Written in French by Frédéric Pajak


Translated into Italian by Daniela Marina Rossi

Accade in riva al mare, o in riva a un lago, poco importa. La spiaggia e i dintorni sono deserti. C’è un uomo da solo, è molto lontano, come un puntino. Mi viene incontro. Ne immagino il passo che scivola sulla sabbia e sui ciottoli. Sembra zoppicare un po’, ma è solo un’impressione: strascica i piedi, si trascina. Le nubi gettano un’ombra su di lui, poi a opprimerlo è la volta del sole. Ormai non è più tanto lontano. Comincio a distinguerne il volto. Anche lui mi guarda, con un sorriso ebete, ci siamo, lo riconosco: sono io. Ma io chi? Io che vengo a me. Mi abbraccia, mi bacia sulle guance. Ha l’aria gentile, ma è molto più vecchio di me.

Mi dice:

«Non sei cambiato».

Rispondo:

«Tu sì».

«Goditi questo nostro incontro» replica, «non ne ho più per molto».

«Ma come?» faccio finta d’impietosirmi.

«Sì, mio caro» prosegue lui, «me ne vado, sono solo di passaggio».

«E dove vai, vecchio mio?»

«Ah, magari lo sapessi. Ma non lo so, e anche se fosse, non ti direi niente di più».

«Ma quanto mistero!»

«Sfotti, sì, prendimi pure in giro, tipico di te: prendi sempre per il culo il mondo intero, stronzetto presuntuoso, narcisista, insolente, e non aggiungo altro!»

Gli rispondo:

«Vecchio bastardo, levati dal mio pezzo di cielo, dalla mia spiaggia vuota! Cercati un altro posto, lontano dal mio!»

«Stronzo!»

E così via, ogni giorno la stessa cosa: ogni volta che sulla testa ho troppo cielo, troppo sole, troppo vento, mi siedo sulla spiaggia, da solo, sempre da solo, e passo le ore ad annoiarmi a morte. Guardo le onde mai uguali, anche se tutta quell’agitazione di sputi schiumosi non varia molto. E quel rumore, quel brusio, quel sibilo del vento.

A volte una barca passa in fondo all’orizzonte e poi svanisce. A volte degli uccelli vengono a schiamazzare qui dintorno. Dei cani smarriti vagano gemendo, senza mai avvicinarsi.

E poi, più niente. Solo quel vecchio bastardo che mi viene incontro, mi abbraccia forte, mi bacia sulle guance e dice che lui è me e che io sono lui e tutte quelle fesserie. Finiamo sempre per battibeccare prima che lui si dilegui nella foschia o nell’oscurità dopo il tramonto. Fisso l’ultimo lembo di sole che cola a picco in fondo al mare, o al lago. Mi annoio. Allora mi infilo la maglia, mi alzo e mi avvio a fatica verso l’albergo deserto. Faccio una doccia, scendo nella sala da pranzo vuota. La vecchia padrona che finisce qui la sua vita mi serve la minestrina, un pezzo di pesce o dei frutti di mare con qualche patatina, uno yogurt e buonasera buonanotte.

Non accendo la luce e nemmeno il televisore. Fisso il soffitto e mi annoio a morte fino al momento in cui il sonno mi vince.

Dormo. Russo. Non sogno più.

Mi sveglio ed ecco che ricomincia la stessa giornata. Mi trascino alla spiaggia, mi siedo nello stesso posto.

Da solo, sempre da solo. A mezzogiorno mi abbuffo di cozze, gamberetti o roba del genere e poi torno subito in spiaggia, ad aspettare la conclusione del giorno, quando arriva il vecchio bastardo e ci diciamo ancora una volta le stesse fesserie: tu sei me e io sono te, tu sei un vecchio e io uno stronzetto.

Tutto questo è durato un bel po’, forse qualche anno, fino al giorno in cui il vecchio bastardo non è più venuto, perché lui ero davvero io.

Published October 21, 2025
© 2025 Frédéric Pajak
© 2025 Daniela Marina Rossi


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