Le transfert d’Averroès from La langue d’Adam

Written in French by Abdelfattah Kilito

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages

Add

Vers le mois de mars 1199, un cortège funèbre s’ébranla de Marrakech en direction de Cordoue. Durant des jours et des jours, le cortège chemina à travers monts et vallées jusqu’à la Méditerranée puis, ayant franchi le détroit, reprit sa marche lente et pénible jusqu’à la capitale de l’Andalousie. Là on ensevelit un cadavre, celui d’Averroès.

Il s’agissait en fait d’un second enterrement, le maître ayant d’abord été enseveli, quelques mois plus tôt, à Marrakech. Lui qui balançait quant à la résurrection de la chairVoir Maurice-Ruben Hayoun er Alain de Libera, Averroès et l’averroïsme, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 38-39., finit donc exhumé et transporté dans sa ville natale. La décision de le transférer pourrait être interprétée comme un hommage rendu au philosophe, une façon de reconnaître sa valeur, d’honorer sa mémoire. Mais d’un autre point de vue, on pourrait également penser que le cadavre d’Averroès ne fut pas considéré comme une source de bénédictions et de faveurs ; on ne le retint pas en terre africaine, on l’expulsa du sud de la Méditerranée, et dans sa tombe restée béante, on enterra, dit-on, un saint, Abu l-ʿAbbâs as-Sabtî. Ce n’est pas tout : on se débarrassa aussi, d’une certaine manière, de ses livres. En effet, dans sa progression vers le nord, le cadavre, placé sur l’un des côtés de la monture, était tenu en équilibre par les œuvres mêmes du philosophe. D’un côté le cercueil, de l’autre des brassées de manuscrits. Témoin du transfert, le théosophe Ibn ʿArabî en perpétua le souvenir dans ses Futûhât :

« Lorsque le cercueil qui contenait [les] restes [d’Averroès] eut été chargé au flanc d’une bête de somme, on plaça ses œuvres de l’autre côté pour faire contrepoids. J’étais là debout en arrêt ; il y avait avec moi le juriste et lettré Abu l-Husayn Muhammad ibn Jubayr, secrétaire du Sayyid Abû Saʿîd [prince almohade], ainsi que son compagnon Abu l-Hakam ‘Amr ibn as-Sarrâj, le copiste. Alors Abu l-Hakam se tourna vers nous et nous dit : « Vous n’observez pas ce qui sert de contrepoids au maître Averroès sur sa monture ? D’un côté le maître (imâm), de l’autre ses œuvres, les livres composés par lui. » Alors Ibn Jubayr de lui répondre : « Tu dis que je n’observe pas, ô mon enfant ? Mais certainement que si. Bénie soit ta langue ! » Alors je recueillis en moi [cette phrase d’Abû l-Hakam], pour qu’elle me soit un thème de méditation et de remémorationIbn ʿArabî, Al-Futûhât al-makkiyya, Beyrouth, s.d., t. I, p. 154. J’emprunte (que je modifie légèrement) de ce passage à Henry Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ʿArabî, Paris, Éd. Flammarion, 1958, p. 35. ».

Sur un fond d’amertume et de recueillement, un éloge funèbre d’une discrétion admirable : les trois compagnons, chœur d’une tragédie antique, commentent en quelques mots la vie du philosophe dont ils voient la dépouille défiler devant eux, soutenue par des livres. Vie comblée, vie d’honneurs et de gloire avant la disgrâce des dernières années, le bannissement, les édits ordonnant de bruler les livres de philosophie, la dispersion des disciples et, pire que tout, la férocité des gens du bas peuple chassant ignominieusement Averroès de la grande mosquée d e Cordoue. Ensuite, et aussi brusquement que la disgrâce, le retour en grâce, suivi de près par la mort du philosopheVoir Roger Arnaldez, « Ibn Rushd », in Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., t. III, p. 934..

C’est sur cet arrière-plan que se découpe la scène rapportée par Ibn ʿArabî. Averroès a été persécuté pour ses opinions et a subi le jugement des hommes. Maintenant il se présente devant le tribunal divin, inanimé, sans défense, sans voix, mais ses livres remplacent le souffle éteint, la voix perdue. Ses œuvres, inscription de son action, de ce à quoi il s’est employé durant sa vie, lui tiennent compagnie (aux dires de ses biographes, il consacrait ses nuits à l’étude, mises à part celle de son mariage et celle de la mort de son père). Mort, il est désormais entre les mains de Dieu ; les hommes n’ont plus à se mêler de son destin, ils ont seulement à méditer sur la fragilité du corps, la brièveté de la vie, la vanité du monde, et aussi sur la permanence des « œuvres », témoins de l’usage qui a été fait de la vie, miroirs où le reflet de ce que fut la vie est définitivement fixé. Tout cela est représenté, figuré par la balance qui ne penche ni d’un côté ni de l’autre. Averroès est mis dans la balance : on examine, en comparant, un cadavre et une œuvre.

Il n’est pas indifférent que ce soit Abu l-Hakam, le « copiste », qui ait remarqué l’étrangeté de la scène. C’est du moins lui qui, en une phrase « bien balancée », attire l’attention de ses compagnons sur l’état d’équilibre du cadavre (« D’un côté le maître, de l’autre ses œuvres »). Formule décisive, définitive, et cela d’autant plus qu’elle émane d’un personnage dont le nom, ou plutôt le surnom (Abu l-Hakam) est significatif : il est l’arbitre, le juge.

Quant à Ibn Jubayr, il est quelque peu désarçonné, confondu par la remarque du copiste, et sa réaction est de défense : « Tu dis que je n’observe pas, ô mon enfant ? Mais certainement que si. » Réponse lourde de sous-entendus : quelques années plus tôt, il avait pris part à la persécution qui s’était abattue sur le philosophe et avait alors composé de nombreux vers sarcastiques, dont voici un échantillon :

« Maintenant Averroès n’est que trop certain
Que ses œuvres sont des choses pernicieuses.
O toi qui t’es abusé toi-même, regarde
Si tu trouves aujourd’hui un seul homme qui veuille être ton ami !».Je cite ces vers dans la traduction de S. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, nouv. éd., Paris, Vrin, 1955, p.427.

C’est ce même Ibn Jubayr qui, à présent, « observe » le cortège funèbre du « maître ».

Ibn ʿArabî, pour sa part, ne dit rien, mais il note la belle formule d’Abu l’-Hakam ; il la recueille pour la méditer et aussi pour la rapporter, la transmettre.

On pourrait rêver indéfiniment sur ce cadavre ambulant retenu de la chute par des livres, par une bibliothèque péripatéticienne. On aura beau scruter les intentions, les intérêts, la vision de chacun des trois compagnons, on n’épuisera pas la portée symbolique de cette scène à coup sûr fascinante. Ni Ibn ʿArabî, ni Aby l-Hakam, ni Ibn Jubayr ne pouvaient deviner que le transfert des restes d’Averroès aurait, pour nous, une signification précise : le rejet d’Aristote, le transfert de la philosophie aux Latins. La mort d’Averroès signe pour les Arabes la fin d’une époque, la fin d’une histoire, ou plus exactement son déplacement, car elle se poursuivra au nord, en Europe, où l’averroïsme s’affirmera et sera « l’une des sources les plus puissantes du choc qui va rendre efficace, à Paris, Padoue et Oxford, ce médium de la civilisation européenne : l’UniversitasJean-Pierre Faye. « Ironies averroïstes », in Lettre internationale, n∞ 30, 1991, p. 24. ». Pour nous donc, qui sommes riches d’un savoir amer, les funérailles d’Averroès constituent un moment dans l’histoire de la Méditerranée, un moment où la philosophie est refoulée vers le nord. Ibn ʿArabî et se deux compagnons apparaissent alors comme des spectateurs dérisoires d’une scène dont la véritable signification leur échappe.

Le cadavre sera enterré à Cordoue, mais les livres continueront le voyage. Traduits en hébreu, puis en latin, ils marqueront fortement de leur présence le débat philosophique jusqu’au XVIe siècle. Acte de transfert, de transmission, la traduction répétera la translation des restes d’Averroès. Chez les Latins, celui-ci mènera une vie posthume, il continuera d’être (soit dit en passant, le verbe être n’existe pas en arabe), il aura même un visage, puisqu’il sera représenté dans des nombreuses peintures italiennesVoir Ernest Renan, Averroès et l’averroïsme, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1852, p. 302 sv..

La pensée d’Averroès n’eut pas d’écho notable au sud de la Méditerranée ; elle flotta, indécise et incertaine, dans les marges de la culture arabe. Les livres de philosophie furent ainsi expédiés en Andalousie comme un poids mort, une charge inutile, encombrante, juste bonne pour tenir la balance avec un cercueil. Le cadavre chemina donc lentement en direction du nord. Après avoir traversé la Méditerranée, ou le fleuve Achéron, il atteignit les Limbes de Dante, où il se fixa pour l’éternité, en compagnie des patriarches, des justes et de « la gent philosophique ». A noter que Dante commence son énumération des philosophes par Aristote, qu’il appelle « le maître des savants », et la termine par « Averroès, qui fit le fameux commentaire ».

Dans la paix et le calme des Limbes, loin de la foule déchaînée, Averroès, on peut l’imaginer, aura un entretien infini avec Aristote, et celui-ci ne cessera de s’étonner que son grand commentateur, et les Arabes en général, n’aient pas compris le sens de deux mots grecs, deux mots pourtant simples et familiers. Deux mots dont l’incompréhension a marqué la coupure la plus brutale entre l’Europe et le monde arabe. Quels sont ces deux mots ?

Parmi les œuvres d’Aristote commentées par Averroès, il y avait la Poétique. Averroès connaissait cet ouvrage à travers la traduction arabe d’Abû Bishr Mattâ (Xe siècle), qui s’était appuyé non sur le texte grec, mais sur une traduction syriaque. Or Mattâ, ayant rencontré les mots tragédie et comédie, et trouvant que leur équivalent n’existait pas en arabe, proposa une traduction qui, pendant près de neuf siècles, induisit le monde arabe en erreur. En effet, il traduisit tragédie par panégyrique, c’est-à-dire poème à la louange de quelqu’un (madîh), et comédie par satire, c’est-à-dire poème qui s’attaque à quelqu’un en s’en moquant (hijâ’).

Averroès hérita de cette traduction. Dans son commentaire, il traita de la tragédie et de la comédie comme s’il s’agissait du panégyrique et de la satire, et à cause de cette erreur initiale, il était condamné à se tromper d’un bout à l’autre de son ouvrage, à errer dans un labyrinthe inextricable, sans issueOn se reportera au conte de Borges, « La quête d’Averroès », in L’Aleph, Paris, Ed. Gallimard, 1967.. Ignorant tout de la littérature grecque, il entreprit de comprendre la Poétique à travers ce qu’il savait de la littérature arabe. Il était cependant conscient de la résistance que lui opposait le texte d’Aristote. Alors qu’il recherchait, dans la Poétique, « les lois universelles de la poésie, communes à toutes les nations, ou à la plupartAverroès, Talkhîs kitâb Aristutâlis fi-sh-shi‘r, in ‘Abdarrahmân Badawî, Fann ash-shir, Beyrouth, 2e éd., 1973, p. 201. », il butait à tout moment sur des usages et des modes propres aux Grecs. Il le reconnaissait lui-même : « Tout cela leur est particulier et son équivalent ne se trouve pas chez nousIbid., p. 246. ». Devant la particularité des Grecs, il était renvoyé à celle des Arabes. Son application pathétique à illustrer Aristote par des vers d’Imru-ul-Qays et de Mutanabbî (ainsi que par des versets du Coran) montre que son horizon était irrémédiablement limité à la poésie arabe et que tout compte fait, une autre poésie était pour lui inconcevable. Le grand transmetteur de la philosophie grecque à l’Occident latin n’avait aucune notion du jeu théâtral. Son commentaire de la Poétique est ainsi basé sur un malentendu tragi-comique, peut-être le plus grand de toute l’histoire littéraire, en tout cas le plus lourd de conséquences.

Aujourd’hui, on se surprend parfois à imaginer ce qu’il en aurait été de la littérature arabe si l’ouvrage d’Aristote avait été « correctement » traduit et si, dans son sillage, l’intérêt s’était porté sur Eschyle, Sophocle, Euripide et Aristophane. Certains, nostalgiques inconsolables, se désolent de ne pouvoir refaire l’histoire. Si les Arabes, disent-ils, avaient dès le départ bien lu la Poétique, l’aspect de leur littérature, et même de leur civilisation, aurait été différent, entendez aurait été grec. Or pareille affirmation est non seulement gratuite, mais aussi indigne, parricide même : elle disqualifie la production culturelle arabe, qu’elle considère implicitement comme défectueuse, incomplète, superflue, elle renie purement et simplement dix siècles de littérature arabe.

Dans Ulysse de James Joyce, nous lisons le jugement suivant (à propos de Shakespeare) : « Un homme de génie ne commet pas d’erreurs. Ses erreurs sont volontaires et sont les portails de la découverte »,

On n’a pas fini d’enterrer Averroès.

– – –

The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published August 2, 2021
© Editions Toubkal, 2000

La traslazione di Averroè

Written in French by Abdelfattah Kilito

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages


Translated into Italian by Yari Moro

Intorno al mese di marzo del 1199 un corteo funebre partì da Marrakech diretto a Cordova. Per giorni e giorni il corteo proseguì per monti e valli fino al Mediterraneo, dopodiché, oltrepassato lo stretto, riprese la sua marcia lenta e penosa fino alla capitale dell’Andalusia. Lì venne seppellita una salma, quella di Averroè.

Di fatto si trattava di un secondo funerale perché qualche mese prima il maestro era stato seppellito a Marrakech. Proprio a lui, incerto quanto alla resurrezione della carneVedi Maurice-Ruben Hayoun-Alain de Libera, Averroès et l’averroïsme, P.U.F., coll. «Que sais-je», 1991, pp. 38-39 (Maurice-Ruben Hayoun-Alain de Libera, Averroè e l’averroismo, Milano, Jaca Book, 2005)., toccò essere esumato e trasferito nella città natale. La decisione di traslarlo la si potrebbe interpretare come un omaggio al filosofo, un modo per riconoscerne il valore, per onorarne la memoria. Ma da un’altra prospettiva si potrebbe anche pensare che la salma di Averroè non fosse considerata né una benedizione né una fortuna; non fu conservata in terra africana ma venne espulsa dal sud del Mediterraneo, e nella tomba rimasta vuota fu seppellito, dicono, un santo: Abu l-‘Abbâs as-Sabtî. Ma non è tutto: in qualche modo ci si sbarazzò pure dei suoi libri. La salma, infatti, nel suo procedere verso nord, fissata a un lato della cavalcatura, era tenuta in equilibrio nientemeno che dalle opere del filosofo. Da una parte la bara, dall’altra una moltitudine di manoscritti. Il teosofo Ibn ‘Arabî, testimone della traslazione, ne perpetuò il ricordo nelle sue Futûhât:

«Allorché le sue spoglie furono caricate su un fianco della bestia da soma, le sue opere furono collocate sull’altro fianco, perché facessero da contrappeso. Io ero là, fermo, in compagnia del giurista e letterato Abu l-Husayn Muhammad ibn Jubayr, segretario del Sayyid Abû Sa’îd [principe almohade], e dell’amico Abu l-Hakam ‘Amr ibn as-Sarrâj, il copista. Quest’ultimo si rivolse a noi dicendo: “Avete visto cosa c’è che bilancia il peso del maestro Averroè? Da un lato il maestro (imâm), dall’altro le sue opere, i libri che ha scritto.” Ibn Jubayr gli rispose: “Pensi che non l’abbia notato? Certo che sì, benedetta sia la tua lingua”. Fu allora che io raccolsi in me [quella frase di Abu l-Hakam], affinché fosse per me oggetto di meditazione e di rimembranza.Ibn ‘Arabî, Al-futûhât al-makkiyya, Beyrouth, s.d., t. I, p. 154. È riportato il passo citato in Henry Corbin, L’immaginazione creatrice: alle radici del sufismo, Roma, Laterza, 2005, p. 39»

Su uno sfondo di amarezza e raccoglimento, un elogio funebre ammirevole per discrezione: i tre compagni di viaggio, coro di un’antica tragedia, commentano con poche parole la vita del filosofo la cui salma, sostenuta dai libri, gli sfila davanti. Una vita appagata, una vita illustre e gloriosa, prima della disgrazia degli ultimi anni, il bando, gli editti che ordinavano di bruciare i suoi libri di filosofia, la dispersione dei discepoli e, peggio ancora, la folla inferocita che lo cacciava vigliaccamente dalla moschea di Cordova. E in seguito, in modo altrettanto improvviso, poco prima della sua morteVedi Roger Arnaldez, «Ibn Rushd», in Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., t. III, p. 934., la riabilitazione.

È su questo sfondo che si staglia la scena riferita da Ibn ‘Arabî. Averroè è stato perseguitato per le sue idee e ha subito il giudizio degli uomini. Ora si presenta dinnanzi al tribunale divino, esanime, indifeso, muto, ma i suoi libri sono lì a rimpiazzarne il soffio estinto, la voce perduta. Le sue opere, in cui è registrata la sua attività, gli tengono compagnia (a detta dei biografi, era solito consacrare le ore notturne allo studio, a eccezione della notte di matrimonio e della notte in cui è morto il padre). Ora che non c’è più, è nelle mani di Dio. Gli uomini non possono più intralciare il suo destino, non resta loro che meditare sulla fragilità della carne, la brevità della vita, la vanità del mondo, ma anche sulla permanenza delle sue “opere”, che recano traccia dell’attività di una vita: specchio su cui rimarrà per sempre impressa la luce di un’esistenza. Tutto questo è rappresentato, simboleggiato da una bilancia che non pende né da una parte né dall’altra. Averroè è l’oggetto di un confronto: al vaglio sono un’opera e una salma/corpo.

Non è irrilevante che sia stato Abu l-Hakam, il “copista”, a notare la singolarità della scena. O almeno è lui che, con una frase molto “bilanciata”, attira l’attenzione dei suoi compagni sullo stato di equilibrio della salma sospesa («Da un lato il maestro, dall’altro le sue opere»). Formula decisiva, definitiva, tanto più perché proferita da un personaggio il cui nome, anzi soprannome (Abu l-Hakam), è significativo: l’arbitro, il giudice.

Quanto a Ibn Jubayr, turbato dall’osservazione del copista, per poco non sbalza di sella, e la sua reazione è di difesa: «Pensi che non l’abbia notato? Certo che sì». Risposta carica di sottintesi: qualche anno prima aveva partecipato alla persecuzione abbattutasi sul filosofo, e all’epoca aveva composto molti versi sarcastici, di cui eccone un esempio:

Ora Averroè è fin troppo certo
che i suoi libri son cose perniciose
oh tu che abusasti di te stesso, guarda
se oggi trovi un solo uomo che ti voglia per amico.I versi [in francese] sono tratti da Solomon Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, nouv. éd., Paris, Vrin, 1995, p. 427.

È lo stesso Ibn Jubayr che in quel momento “osserva” il corteo funebre del “maestro”.

Dal canto suo Ibn ‘Arabî non apre bocca, ma si annota la bella formula di Abu l-Hakam; la registra per meditarci su e anche per trasmetterla, per tramandarla.

Potremmo fantasticare all’infinito su questo cadavere ambulante sorretta dai libri, da una biblioteca peripatetica. Ma per quanto ci si possa accanire nel valutare le intenzioni, gli interessi e le prospettive dei tre viaggiatori, la portata simbolica di questa bellissima scena rimarrà intatta. Né Ibn ‘Arabî, né Abu l-Hakam, né Ibn Jubayr potevano sospettare che la traslazione delle spoglie di Averroè avrebbe avuto, per noi, un significato ben preciso: il rifiuto di Aristotele, il passaggio della filosofia ai Latini. Per gli Arabi la morte di Averroè – anzi il suo dislocamento – segna la fine di un’epoca, la fine di una storia, una storia che continuerà al nord, in Europa, dove l’averroismo si imporrà e sarà «una delle fonti più potenti di quello scontro che a Parigi, Padova e Oxford affermerà l’Universtitas: il medium della civiltà europea»Jean-Pierre Faye, «Ironies averroïstes», in Lettre internationale, n. 30, 1991, p. 24.. Per noi dunque, ricchi di un’amara saggezza, il funerale di Averroè costituisce un punto di non ritorno nella storia del Mediterraneo, il momento in cui la filosofia è stata respinta verso nord. Ibn ‘Arabî e i suoi due compagni di viaggio appaiono insomma come i modesti spettatori di una scena di cui gli sfugge il significato profondo.

La salma verrà sepolta a Cordova ma i libri proseguiranno il viaggio. Tradotti in ebraico poi in latino, segneranno fortemente il dibattito filosofico fino al XVI secolo. Atto di trasferimento, di trasmissione, la traduzione perpetuerà la traslazione delle spoglie di Averroè. Presso i Latini il filosofo vivrà una vita postuma, continuerà a essere (sia detto per inciso, il verbo essere in arabo non esiste) e avrà persino un volto, poiché sarà raffigurato in numerosi dipinti italianiVedi Ernest Renan, Averroès et l’averroïsme, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1852, p. 302 sv. (Ernest Renan, Scritti filosofici, a c. di G. Campioni, Milano, Bompiani, 2008, pp. 553-1317)..

A sud del Mediterraneo il pensiero di Averroè non ebbe grande risonanza; vagò incerto e insicuro ai margini della cultura araba. I libri del filosofo furono quindi spediti in Andalusia come un peso morto, un carico superfluo, ingombrante, a malapena utile per controbilanciare una bara. Così la salma avanzò lentamente verso nord. Oltrepassato il Mediterraneo, anzi il fiume Acheronte, raggiunse il Limbo dantesco dove si stabilì per l’eternità in compagnia dei patriarchi, dei giusti e della «filosofica famiglia». Si noti che Dante inizia il suo elenco dei filosofi con Aristotele, che chiama il «maestro di color che sanno», e lo chiude con «Averoís che ‘l gran comento feo».

Si può supporre che, nella quiete e nella pace del Limbo, lontano dalla folla scatenata, Averroè abbia dialogato all’infinito con Aristotele, il quale dal canto suo si sarà meravigliato che il suo grande commentatore, e gli Arabi in generale, non abbiano inteso il significato di due parole greche, due parole tanto semplici e comuni. Due parole la cui incomprensione ha segnato la frattura più lacerante fra Europa e mondo arabo. Quali?

Fra le opere di Aristotele tradotte da Averroè c’era la Poetica. Averroè la conosceva  attraverso la traduzione araba di Abû Bishr Mattâ (X secolo), che si era servito non del testo greco ma di una traduzione siriaca. Ebbene, Mattâ, di fronte alle parole tragedia e commedia, non trovando il loro equivalente in arabo, propose una soluzione che, per quasi nove secoli, indusse gli Arabi in errore. Infatti tradusse tragedia con panegirico, ossia poema in lode di qualcuno (madîh), e commedia con satira, ossia poema che si scaglia contro qualcuno beffandosi di lui (hijá’).

Averroè ereditò questa traduzione. Nei suoi commenti parlò della tragedia e della commedia come se fossero panegirico e satira e a causa di questo equivoco iniziale fu condannato a sbagliarsi da un capo all’altro della sua opera, errando in un labirinto inestricabile e senza uscitaSi veda il racconto di Borges, La ricerca di Averroè, in Id., L’Aleph, Milano, Feltrinelli, 1959.. Siccome ignorava totalmente la letteratura greca, tentò di comprendere la Poetica attraverso quello che sapeva della letteratura araba. Eppure era consapevole della resistenza esercitata dal testo aristotelico: quando nella Poetica andava cercando «le leggi universali della poesia, comuni a tutti i paesi o almeno alla maggior parte di essi»Averroès, Talkhîs kitâb Aristutâlis fi-sh-shi’r, in ‘Abdarrahmân Badawî, Fann ash-shi’r, Beyrouth, 2e éd., 1973, p. 201., inciampava di continuo negli usi e nei modi propri dei Greci e lui stesso lo riconosceva: «Questa è una loro peculiarità e non esiste da noi l’equivalente»Ibid., p. 246.. La peculiarità dei Greci lo rimandava a quella degli Arabi. Il suo zelo patetico nell’applicare le teorie di Aristotele a versi di Imru-ul-Qays e Mutanabbî (e persino ad alcuni versetti del Corano) dimostra che il suo orizzonte era irrimediabilmente limitato alla poesia araba, e che, insomma, un’altra poesia non era per lui concepibile. Il grande divulgatore della filosofia greca nell’Occidente latino non aveva alcuna nozione del gioco teatrale. Il suo commento alla Poetica si fonda dunque su un malinteso tragi-comico, forse il più grande di tutta la storia letteraria, in ogni caso il più carico di conseguenze. 

Ancora oggi viene talvolta da chiedersi come sarebbe stata la letteratura araba se l’opera di Aristotele fosse stata tradotta “correttamente” e se l’interesse così suscitato si fosse spinto fino a Eschilo, Sofocle, Euripide e Aristofane. Alcuni, nostalgici e sconsolati, si disperano di non poter riscrivere la storia e sostengono che, se gli arabi avessero letto correttamente la Poetica fin dal principio, la loro letteratura e anche la loro civiltà sarebbero state diverse, il che equivale a dire greche. Ora, tale affermazione non solo è gratuita ma pure indegna, se non parricida: discredita l’intera produzione culturale araba, che viene implicitamente considerata come difettosa, incompleta, superflua, negando bellamente dieci secoli di letteratura.

Nell’Ulisse di James Joyce si può leggere il seguente giudizio (a proposito di Shakespeare): «Un uomo di genio non commette errori. I suoi errori sono volontari e sono i portali della scoperta».

Il funerale di Averroè non è ancora terminato.

– – –

The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published August 2, 2021
© Editions Toubkal, 2000
© Specimen, 2021

Η μεταφορά του Αβερρόη

Written in French by Abdelfattah Kilito

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages


Translated into Greek by Evanghelia Stead

Γύρω στον Μάιο του 1199, μια νεκρική πομπή ξεκίνησε από το Μαρρακές με κατεύθυνση την Κόρδοβα. Για μέρες η πομπή τραβούσε το δρόμο της διασχίζοντας βουνά και κοιλάδες μέχρι τη Μεσόγειο, έπειτα, αφού πέρασε το Στενό, ξανάπιασε την αργή και κοπιαστική της πορεία μέχρι την πρωτεύουσα της Ανδαλουσίας. Κι εκεί έθαψαν ένα πτώμα, το πτώμα του Αβερρόη.

Επρόκειτο στην πραγματικότητα για δεύτερη κηδεία, αφού ο Δάσκαλος είχε καταρχάς ενταφιαστεί, λίγες μέρες νωρίτερα, στο Μαρρακές. Ο άνθρωπος που αμφιταλαντευόταν ως προς την ανάσταση της σάρκαςΒλ. Maurice-Ruben Hayun και Antoine de Libéra, Averroès et l’averroïsme (Ο Αβερρόης και ο αβερροϊσμός), PUF, σειρά «Que sais-je ?», Παρίσι 1991, σ. 38-39., κατέληξε λοιπόν κουφάρι που το ξέθαψαν και το μετέφεραν στη γενέτειρά του. Η απόφαση να μεταφερθεί θα μπορούσε να ερμηνευτεί ως το ύστατο χαίρε πρός τον φιλόσοφο, ένας τρόπος αναγνώρισης της αξίας του, φόρος τιμής στη μνήμη του. Όμως, από την άλλη, θα μπορούσαμε επίσης να σκεφτούμε πως η σορός του Αβερρόη δεν θεωρήθηκε πηγή ευλογίας και εύνοιας· δεν τον κράτησαν στο αφρικανικό έδαφος, τον απέλασαν από το νότο της Μεσογείου, και μέσα στον τάφο του που έχασκε, θάψανε, λέει, έναν άγιο, τον Αμπού-λ-Αμπάς ας-Σαμπτί. Κι όχι μόνο αυτό: ξεφορτώθηκαν επίσης, κατά κάποιον τρόπο, τα βιβλία του. Πράγματι, στην πορεία του προς το βορρά το κουφάρι, τοποθετημένο στη μια πλευρά του υποζυγίου, ισορροπούσε με αντίβαρο τα ίδια τα έργα του φιλοσόφου στην αντίθετη. Από τη μια το φέρετρο, από την άλλη αγκαλιές τα χειρόγραφα. Ο μυστικιστής φιλόσοφος Ιμπν Αραμπί, μάρτυρας στη μεταφορά, απαθανάτισε τη στιγμή στις Εκλάμψεις του (Αλ Φουτουχάτ):

«Αφού το φέρετρο με [το] λείψανο [του Αβερρόη] φορτώθηκε από τη μια πλευρά του ζώου, φορτώθηκαν τα έργα του από την άλλη για να αντισταθμίσουν το βάρος. Στεκόμουν εκεί ασάλευτος· μαζί μου ήταν κι o νομομαθής και λόγιος Αμπού-λ-Ηουσέιν Μουχάμαντ Ιμπν Ζουμπάιρ, γραμματικός του Σαγίντ Αμπού Σαΐντ, καθώς κι ο σύντροφός του, ο Αμπού λ-Χάκαμ Αμρ Ιμπν ασ-Σαρράζ, ο αντιγραφέας. Εκείνη τη στιγμή ο Αμπού λ-Χάκαμ στράφηκε προς το μέρος μας και μας είπε: “Μα δεν συνειδητοποιείτε τι έβαλαν για αντίβαρο του Δασκάλου Αβερρόη πάνω στο ζώο του; Από τη μια ο Δάσκαλος (ο ιμάμης), από την άλλη τα έργα του, τα βιβλία που έγραψε.” Τότε ο Ιμπν Ζουμπάιρ του απάντησε: “Λες να μη βλέπω, γιέ μου; Βεβαίως και βλέπω! N΄ αγιάσει το στόμα σου!” Τότε έκλεισα μες στην ψυχή μου [τούτη τη φράση του Ιμπν Ζουμπάιρ] ως θέμα στοχασμού και αναπόλησης»Ιμπν Αραμπί, Al-futuhât al-makkiyya (Οι εκλάμψεις της Μέκκας), Βηρυττός, χ. χ., τόμ. Α, σ. 154. Δανείζομαι τη μετάφραση (ελαφρώς τροποποιημένη) από το βιβλίο του Henry Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî (Η δημιουργική φαντασία στον σουφισμό του Ίμπν Αραμπί), Flammarion, Παρίσι 1958, σ. 35.

Σε μια ατμόσφαιρα πικρίας και περισυλλογής, ένας επικήδειος λόγος θαυμαστής διακριτικότητας· οι τρεις σύντροφοι, χορός αρχαίας τραγωδίας, σχολιάζουν με λίγα λόγια το βίο του φιλοσόφου, ενώ βλέπουν τη σορό του να περνά μπροστά τους, υποβασταζόμενη από βιβλία. Βίος πεπληρωμένος, βίος γεμάτος τιμές και δόξα πριν από τη δυσμένεια των τελευταίων ετών, την εξορία, τα διατάγματα που προστάζουν να καούν τα φιλοσοφικά εγχειρίδια, το διασκορπισμό των μαθητών και, το χειρότερο απ’ όλα, τη θηριωδία του όχλου που αποπέμπει ατιμωτικά τον Αβερρόη από το μεγάλο τέμενος της Κόρδοβας. Στη συνέχεια, το ίδιο απότομα με τη δυσμένεια, η αποκατάσταση, ενώ πολύ γρήγορα ακολουθεί ο θάνατος του φιλοσόφου.Βλ. Roger Arnaldez, «Ibn Rushd», Encyclopédie de l’Islam (Εγκυκλοπαίδεια του Ισλάμ), β΄ έκδ., τόμ. ΙΙΙ, σ. 934.

Σ΄αυτό το πλαίσιο διαγράφεται η σκηνή που αναφέρει ο Ιμπν Αραμπί. Ο Αβερρόης διώχθηκε για τις πεποιθήσεις του και υπέστη την κρίση των ανθρώπων. Τώρα παρουσιάζεται ενώπιον της θείας δικαιοσύνης, άψυχο σώμα, δίχως άμυνα, δίχως φωνή, όμως τα βιβλία του αντικαθιστούν την πνοή που έσβησε, τη φωνή που χάθηκε. Τα έργα του, καταγραφή των πράξεών του, όλων εκείνων με τα οποία καταπιάστηκε στη ζωή του, του κρατούν συντροφιά (κατά τους βιογράφους του, αφιέρωνε τις νύχτες του στη μελέτη, αν εξαιρέσουμε τη νύχτα του γάμου του και τη νύχτα του θανάτου του πατέρα του). Νεκρός, είναι πια στα χέρια του Θεού· δεν χρειάζεται πλέον οι άνθρωποι να παρέμβουν στο πεπρωμένο του, οφείλουν μόνο να στοχαστούν την ευθραυστότητα του σώματος, τη βραχύτητα του βίου, τη ματαιότητα του κόσμου, καθώς και τη διαιώνηση των «έργων», που μαρτυρούν τον πολυπράγμονα βίο του του, καθρέφτες που μέσα τους αντανακλά για πάντα το πώς κύλησε η ζωή. Αυτά αναπαριστά και συμβολίζει η ζυγαριά που δεν γέρνει ούτε από τη μια ούτε από την άλλη. Ο Αβερρόης ζυγιάζεται: εξετάζουν, συγκρίνοντας, ένα πτώμα κι ένα έργο. 

Δεν είναι αδιάφορο το γεγονός ότι ο Αμπού λ-Χάκαμ, ο «αντιγραφέας», είναι εκείνος που επισήμανε το παράδοξο της σκηνής. Αν μη τι άλλο, εκείνος, με μια «καλά ζυγιασμένη» φράση, στρέφει την προσοχή των συντρόφων του στο πώς αντισταθμίζεται το πτώμα («Από τη μια ο Δάσκαλος, από την άλλη τα έργα του»). Καθοριστική διατύπωση, τελεσίδικη, πόσο μάλλον που πηγάζει από ένα άτομο του οποίου το όνομα, ή μάλλον το παρωνύμιο (Αμπού λ-Χάκαμ), έχει νόημα: σημαίνει αιρετοκρίτης, δικαστής. 

Όσο για τον Ιμπν Ζουμπάιρ, έχει μείνει κατά κάποιο τρόπο άναυδος· η παρατήρηση του αντιγραφέα τον έφερε σε δύσκολη θέση και η αντίδρασή του είναι καθαρά αμυντική: «Λες να μην βλέπω, γιέ μου; Βεβαίως και βλέπω!». Απόκριση γεμάτη υπονοούμενα: μερικά χρόνια πριν, είχε λάβει μέρος στο διωγμό του φιλοσόφου και είχε τότε συνθέσει πολλούς σαρκαστικούς στίχους, από τους οποίους ιδού ένα δείγμα:

Τώρα ο Αβερρόης τό΄ μαθε καλά
Πως τα έργα του είν΄ έργα βλαβερά.
Ω εσύ που εξαπάτησες ακόμη κι εσένα
Για κοίτα τώρα αν θά΄ βρεις φίλο κανένα!Παραθέτω τους στίχους στη μετάφραση του S. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe (Σύμμεικτα εβραϊκής και αραβικής φιλοσοφίας), νέα έκδ., Vrin, Παρίσι 1955, σ. 427. (Στην ελληνική μετάφραση οι στίχοι αποδίδονται έμμετρα. Σ.τ.Μ.).

Είναι αυτός ο ίδιος ο Ιμπν Ζουμπάιρ που, τώρα, «παρατηρεί» τη νεκρική πομπή του «Δασκάλου».

Όσο για τον Ιμπν Αραμπί, δεν λέει κουβέντα, αλλά καταγράφει την ωραία διατύπωση του Αμπού λ-Χάκαμ· την εσωτερικεύει για να την στοχαστεί αλλά και για να την αφηγηθεί, να τη μεταδώσει.

  Θα μπορούσαμε να ονειροπολούμε επ΄ άπειρον με αφορμή τούτο το περιφερόμενο πτώμα που το συγκρατούν εμποδίζοντας την πτώση του βιβλία, σωστή περιπατητική βιβλιοθήκη. Όσο εξονυχιστικά κι αν εξετάσουμε τις προθέσεις, τις ανησυχίες, τις σκέψεις καθενός από τους τρεις συντρόφους, δεν πρόκεται να εξαντλήσουμε τη συμβολική εμβέλεια αυτής της όντως συναρπαστικής σκηνής. Ούτε ο Ιμπν Αραμπί ούτε ο Αμπού λ-Χάκαμ ούτε ο Ιμπν Ζουμπάιρ δεν ήταν σε θέση να μαντέψουν ότι η μεταφορά του λείψανου του Αβερρόη θα είχε, για εμάς, μια συγκεκριμένη σημασία: την απόρριψη του Αριστοτέλη, τη μεταφορά της φιλοσοφίας στους Λατίνους. Ο θάνατος του Αβερρόη σηματοδοτεί για τους Άραβες το τέλος μιας εποχής, το τέλος μιας ιστορίας, ή, ακριβέστερα, το μετατοπισμό της, γιατί θα συνεχιστεί στο βορρά, στην Ευρώπη, όπου ο αβερροϊσμός θα επιβληθεί και θα γίνει «ένας από τους ισχυρότερους παράγοντες που θα κλονίσουν και θα δώσουν καθοριστική ώθηση ― στο Παρίσι, στην Πάντοβα και στην Οξφόρδη ― στην αποτελεσματικότητα του περίφημου δίαυλου της ευρωπαϊκής παιδείας: της Universitas».Jean-Pierre Faye, «Ironies averroïstes» («Αβερροϊκές ειρωνείες»), Lettre internationale, τχ. 30, 1991, σ. 24. Για εμάς λοιπόν, τους προικισμένους με πικρή γνώση, η κηδεία του Αβερρόη αποτελεί μια στιγμή στην ιστορία της Μεσογείου, τη στιγμή που η φιλοσοφία απωθείται προς το βορρά. Ο Ιμπν Αραμπί και οι δύο του σύντροφοι φαντάζουν, επομένως, ως ασήμαντοι θεατές μιας σκηνής το πραγματικό νόημα της οποίας τους διαφεύγει.

Το πτώμα θα ταφεί στην Κόρδοβα, αλλά τα βιβλία θα συνεχίσουν το ταξίδι. Μεταφρασμένα στα εβραϊκά, και στη συνέχεια στα λατινικά, θα σημαδέψουν βαθιά με την παρουσία τους τη φιλοσοφική αντιπαράθεση έως τον 16° αιώνα. Πράξη μεταφοράς, μετάδοσης, η μετάφραση θα επαναλάβει τη μετατόπιση του λείψανου του Αβερρόη. Στον λατινικό πολιτισμό, ο Αβερρόης θα γνωρίσει μια μεταθανάτια ζωή, θα εξακολουθήσει να υπάρχει (παρεμπιπτόντως το ρήμα είμαι [être] δεν υπάρχει στα αραβικά), θα αποκτήσει μάλιστα και πρόσωπο, αφού θα απεικονιστεί σε πολλά ιταλικά έργα.Βλ. Ernest Renan, Averroès et l’averroïsme (Ο Αβερρόης και ο αβερροϊσμός), Calmann-Lévy, Παρίσι 1852, σ. 302 κ. ε.

Η σκέψη του Αβερρόη δεν βρήκε αξιοσημείωτο αντίκτυπο στο νότο της Μεσογείου· περιπλανήθηκε, αναποφάσιστη κι αβέβαιη, στις παρυφές του αραβικού πολιτισμού. Τα φιλοσοφικά βιβλία αποδιώχτηκαν έτσι στην Ανδαλουσία ως περιττό βάρος, επαχθές φορτίο, ογκώδες κι άβολο, που ίσα ίσα καταφέρνει να ισορροπήσει στο ζύγι ένα φέρετρο. Το πτώμα τράβηξε λοιπόν το δρόμο του αργά με προορισμό το βορρά. Αφού πέρασε τη Μεσόγειο, ή τον ποταμό Αχέροντα, έφτασε στην κατοικία των αβάπτιστων ψυχών του Δάντη, όπου και παρέμεινε για τους αιώνες των αιώνων, μαζί με τους πατριάρχες, τους δίκαιους και τη «φιλοσοφική χορεία». Σημειωτέον πως ο Δάντης αρχίζει την απαρίθμηση των φιλοσόφων με τον Αριστοτέλη, που τον αποκαλεί «τον Δάσκαλο των φιλοσόφων όλων», και την κλείνει με τον «Αβερρόη, που συνέγραψε το υπόμνημα το μέγα».

Μές στη γαλήνη και την αταραξία της κατοικίας των αβάπτιστων ψυχών, μακριά από το μαινόμενο πλήθος, μπορούμε να φανταστούμε τον Αβερρόη να συνομιλεί ατελείωτα με τον Αριστοτέλη, κι αυτόν να μην παύει να απορεί που ο μέγας σχολιαστής του, και εν γένει οι Άραβες, δεν κατάλαβαν το νόημα δύο ελληνικών λέξεων, δύο λέξεων ωστόσο απλών και οικείων. Δύο λέξεις που η παρανόησή τους καθόρισε το πιο βίαιο ρήγμα μεταξύ της Ευρώπης και του αραβικού κόσμου. Ποιες είναι αυτές οι δύο λέξεις; 

Μεταξύ των έργων του Αριστοτέλη που σχολίασε ο Αβερρόης, υπήρχε η Ποιητική. Ο Αβερρόης γνώριζε αυτό το σύγγραμμα μέσω της αραβικής μετάφρασης του Αμπού Μπισρ Ματτά (10ος αιώνας), ο οποίος είχε βασιστεί όχι πάνω στο ελληνικό κείμενο, αλλά σε μια συριακή μετάφραση. Όμως ο Ματτά, συναντώντας τις λέξεις τραγωδία και κωμωδία, και βλέποντας πως οι αντίστοιχες δεν υπήρχαν στα αραβικά, πρότεινε μια μετάφραση που, για σχεδόν εννέα αιώνες, παρέσυρε τον αραβικό κόσμο σε σφάλμα. Πράγματι, μετέφρασε την τραγωδία με τη λέξη εγκώμιο, δηλαδή ποίημα που εξυμνεί κάποιον (madîh), και την κωμωδία με τη λέξη σάτιρα, δηλαδή ποίημα που επιτίθεται σε κάποιον και τον διακωμωδεί (hijâ’).

Αυτή τη μετάφραση κληρονόμησε ο Αβερρόης. Στο υπόμνημά του, πραγματεύεται την τραγωδία και την κωμωδία σαν να επρόκειτο για εγκώμιο και για σάτιρα, και, εξαιτίας αυτού του αρχικού σφάλματος, ήταν καταδικασμένος να λαθέψει απ΄ την αρχή ως το τέλος του έργου του, να πλανηθεί σ΄ έναν αξεδιάλυτο λαβύρινθο, χωρίς έξοδο.Παραπέμπω στο διήγημα του Μπόρχες «La quête d’Averroès» («Η αναζήτηση του Αβερρόη»), από τη συλλογή L’Aleph (Άλεφ), Gallimard, Παρίσι 1967. Αγνοώντας παντελώς την ελληνική γραμματεία, επιχείρησε να κατανοήσει την Ποιητική μέσα από όσα ήξερε για την αραβική γραμματεία. Είχε όμως συνείδηση ότι το κείμενο του Αριστοτέλη του αντιστεκόταν. Ενώ αναζητούσε, στην Ποιητική, «τους καθολικούς κανόνες της ποίησης, κοινούς σε όλα τα έθνη, ή στα περισσότερα»Αβερρόης, Talkhîs kitâb Aristutâlis fi-sh-shi‘r (Υπόμνημα στην Ποιητική του Αριστοτέλη), στο Αμπνταρραχμάν Μπανταουί, Fann ash-shi‘r (Η ποιητική τέχνη), β΄έκδ., Βηρυττός 1973, σ. 201., σκόνταφτε κάθε λίγο και λιγάκι πάνω σε χρήσεις και τρόπους ίδιον των Ελλήνων. Και μάλιστα το αναγνώριζε: «Όλα αυτά είναι δικά τους χαρακτηριστικά κι εμείς δεν διαθέτουμε τα αντίστοιχα»Στο ίδιο, σ. 246.. Η ιδιαιτερότητα των Ελλήνων παρέπεμπε τον Αβερρόη στην ιδιαιτερότητα των Αράβων. Η επίπονη και αξιοθρήνητη προσπάθειά του να εξηγήσει τον Αριστοτέλη μέσω στίχων του Ίμρου-ουλ-Κάις και του Μουταναμπί (καθώς και στίχων από το Κοράνιο) δείχνει πως ο ορίζοντας της σκέψης του περιοριζόταν ανεπανόρθωτα στην αραβική ποίηση και πως, σε τελευταία ανάλυση, μια διαφορετική ποίηση του ήταν αδιανόητη. Ο μέγας πρεσβευτής της ελληνικής φιλοσοφίας στη Λατινική Δύση δεν είχε την παραμικρή ιδέα περί θεάτρου. Έτσι, τα σχόλιά του στην Ποιητική βασίζονται πάνω σε μια κωμικοτραγική παρεξήγηση, ίσως τη μεγαλύτερη στην ιστορία της λογοτεχνίας, πάντως την παρεξήγηση με τις βαρύτερες συνέπειες.

Σήμερα, πιάνουμε καμιά φορά τον εαυτό μας να φαντάζεται τι θα είχε απογίνει η αραβική γραμματεία εάν το σύγγραμμα του Αριστοτέλη είχε μεταφραστεί « σωστά» και αν, πάνω στα χνάρια του, το ενδιαφέρον είχε στραφεί προς τον Αισχύλο, τον Σοφοκλή, τον Ευριπίδη και τον Αριστοφάνη. Ορισμένοι, απαρηγόρητοι νοσταλγοί, το παίρνουν κατάκαρδα που δεν μπορούν να ξαναγράψουν την ιστορία. Εάν οι Άραβες, λένε, είχαν ευθύς εξαρχής διαβάσει σωστά την Ποιητική, η όψη της λογοτεχνίας τους, και δη του πολιτισμού τους, θα ήταν διαφορετική, πράγμα που σημαίνει θα ήταν ελληνική. Μια τέτοια δήλωση, όμως, όχι μόνον είναι αβάσιμη, αλλά και αναξιοπρεπής, και μάλιστα πατροκτόνα: απαξιώνει την αραβική πολιτισμική παραγωγή, τη θεωρεί εμμέσως ελαττωματική, ημιτελή και περιττή, απαρνιέται δίχως τον παραμικρό ενδοιασμό δέκα αιώνες αραβικής γραμματείας.

Στον Οδυσσέα του Τζέιμς Τζόυς διαβάζουμε την ακόλουθη κρίση (με αφορμή τον Σαίξπηρ): «Ο μεγαλοφυής άνθρωπος δεν κάνει λάθη. Τα λάθη του είναι εκούσια και είναι οι πύλες της ανακάλυψης».

Δεν έχουμε ξεμπερδέψει με την ταφή του Αβερρόη.

– – –

The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published August 2, 2021
© Editions Toubkal, 2000
© Specimen, 2021


Other
Languages
French
Italian
Greek

Your
Tools
Close Language
Close Language
Add Bookmark