Bureau des élucidations – Entrer sans frapper from Juste Ciel

Written in French by Éric Chevillard

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– Une petite plaisanterie innocente pour détendre les nouveaux-venus.
Albert a maintenant la porte dans le dos. Il cherche d’où vient la voix qui lui parle. Il doit avoir l’air dubitatif, car on croit bon de préciser :
– Entrer sans frapper, c’est pour rire.
– Heureusement, car je n’ai pas trouvé mes poings dans mes poches.
Répond Albert, mais sa propre plaisanterie ne suscite aucune réaction chez son invisible interlocutrice. Invisible, mais -trice, s’il faut en croire sa voix aiguë. Est-ce un indice suffisant, pourtant ? Pas de poings dans les poches, rien dans le slip non plus. Privé de corps, c’est être eunuque notamment. Puis les castrats ont toujours eu les faveurs des dieux, pour leur chant et pour leur abstinence.
– Moindre Albert ?
– Vous en doutez ? Je ne vais tout de même pas m’embêter à répondre à un esprit omniscient ! Vous êtes omnisciente, n’est-ce pas, rassurez-moi,  je n’ai aucun secret pour vous ?
– Albert Moindre, tu es dans ce bureau non pas, en effet, pour renseigner nos formulaires mais pour satisfaire ta curiosité. La paix de l’âme est à ce prix, nous le savons, et, afin de profiter pleinement de son séjour ici, tout impétrant se voit d’abord offrir l’opportunité de vider les questions qui l’obsèdent, de se soulager des interrogations qui le torturent.
– Que dois-je faire ?
– Rien. Laisse venir les révélations. Tu es prêt ?

– Eucalyptus, c’est le mot que tu avais sur le bout de la langue, le 12 juillet 1981 à 18h37. Le petit hérisson apparu dans ton jardin, l’été de tes 5 ans, et que tu avais surnommé Zag, fut retrouvé mort par ton père, noyé dans le bol de lait que tu lui avais servi. Il l’ensevelit sous un buisson et prétendit que, revigoré par tes bons soins, il avait repris son errance. À plusieurs reprises ensuite, il voulut t’avouer la vérité, la dernière fois le jour de ton cinquantième anniversaire, mais il n’en eut pas le courage.
– Zag ? Mais je l’ai revu, l’année suivante, deux fois plus gros…
– C’était un autre. La jeune Annie n’a jamais reçu ta lettre, interceptée par sa mère. Elle partageait tes sentiments. Le carnet qui tu as perdu dans le train Paris-Marseille, le 11 mai 1994, fut retrouvé le lendemain par une religieuse de l’ordre des Bernardines, sœur Marie-Claire, qui le feuilleta pour trouver une adresse, y lut le mot clitoris et le jeta dans une poubelle en gare de Sète. Tu as croisé et même légèrement bousculé Marlène Dietrich, le 21 avril 1988, sur le trottoir de l’avenue Montaigne, à Paris.
– Mais je n’étais nullement inquiet de cela puisque je l’ignorais !
– Tout doit être élucidé. Tu as payé deux fois ton café, le 16 mars 2001, au Comptoir des colonies. L’homme qui t’a insulté et frappé dans une galerie marchande de Toulouse, en avril 2003, t’a pris pour quelqu’un d’autre, Victor Lombes, qui lui devait de l’argent et auquel en effet tu ressemblais étrangement, ce qui te vaudra encore un doigt d’honneur cinq ans plus tard à Oulan-Bator. Tu possédais un don unique pour la clarinette basse…
– Je n’ai seulement jamais touché cet instrument !
– C’est bien dommage. Palmyre est revenue le soir même du jour où elle t’a quitté. Elle a sonné, appelé, frappé à la porte. Sidonie pleurait. Ivre mort, tu ne les as pas entendues. Palmyre a cru que tu refusais d’ouvrir et elle est partie pour de bon.
– Non ?
– Si. Emportant Sidonie. Le moustique qui t’a piqué au mollet droit, le 27 mai 1971 à Draguignan, avait précédemment piqué au même endroit l’écrivain Vladimir Nabokov en villégiature avec sa femme à Tourtour. Tu as croisé onze fois par hasard au cours de ta vie le chemin de Déborah Kingstone, fleuriste à Mende, à votre insu à tous les deux, la dernière fois sur Lexington avenue, à New York, le 30 mars 2008. La jeune Allemande Susan Gade simulait le plaisir dans tes bras.
– Elle m’a assuré du contraire.
– Elle simulait d’abord et elle mentait ensuite.
– Comment pouvez-vous affirmer de telles choses ?
– Tout est su.
– Et si elle vous mentait, à vous aussi ?
– Certains essayent, mais tout est su. Tu as posé le pied dans le Sahara à huit centimètres d’un scorpion. Le deuxième enfant conçu par Palmyre et qu’elle perdit après cinq semaines de grossesse aurait été un garçon. Tu avais raison, il était dans le court.
– Quoi donc ?
– Le coup droit qui t’aurait permis de remporter le tournoi de tennis intercommunal du Maine-et-Loire, catégorie minimes, qui fut jugé out par l’arbitre, après quoi tu te déconcentras complètement et perdis finalement le match.
– Non ?!
– Pleine ligne. La corpulente vieille dame qui vivait dans ton quartier et que tu appelais madame Mouillefarine pour amuser Sidonie se nommait en réalité Odette Brûlepain. Ton professeur de mathématiques de Quatrième, condamné pour pédophilie à sept années de prison, était parfaitement innocent de ce crime. Ton collègue Magruder se teint les cheveux. Tu as fait cent quatre-vingt-huit fois du toboggan. Tu as pris mille neuf cent soixante-seize bains de mer. Tu n’as pas reconnu dans la pharmacienne qui t’a vendu des granules homéopathiques d’arnica 5ch le 20 juin 2011 à Talence la passagère du vol Air Caraïbes pour la Guadeloupe qui avait fait le voyage à côté de toi le 11 février 1997 et t’avait laissé boire la mignonnette de punch de son plateau repas. Elle ne t’a pas davantage reconnu et sera informée de la coïncidence quand le moment sera venu.
– C’est-à-dire ?
– Quand la mort l’emportera, dans vingt-trois ans, un mois, deux jours, cinq heures, seize minutes, seize secondes, selon l’horloge terrestre.
– Accident de la circulation ?
– Cancer des os, atroce. La fourgonnette de livraison qui t’a heurté fatalement transportait six cagettes de vingt-deux bocaux d’olives vertes non dénoyautées et soixante-six livres de dattes en branche. Gaétan Lariotte la conduisait, marié à Elisabeth Colson et père de quatre enfants. Tu veux leurs prénoms ?
– Inutile. Il n’a rien ?
– Non, mais il est embêté. Son assurance refuse de prendre en charge la réparation du véhicule. Or tu as salement endommagé la carrosserie. Ta hanche a enfoncé une aile.
– C’est de l’ironie ?
– Des faits. Ici, rien que des faits. Par loyauté envers toi, Palmyre a stoïquement refusé les avances appuyées de son collègue Hervé Pierre, en dépit de l’inclination qu’elle éprouvait elle-même. Le 12 octobre 1996, elle faillit céder puis s’arracha à son éteinte et s’enfuit. À son retour chez vous, tu l’as saluée d’un grognement sans quitter des yeux l’écran de la télévision. Elle a longuement pleuré dans la cuisine. Puis elle s’est masturbée sous la douche.
– Vous aviez l’œil sur tout ça ?
– Rien ne nous échappe. Tu as mangé exactement autant de melons que tu as utilisé de lits différents, neuf cent trois. Tu as vidé quatre cent vingt-deux tubes de dentifrice. Tu as bu cinquante huit litres de rhum.
– Vous arrondissez ?
– Les décimales sont à ta disposition. Le poisson qui a cassé ta ligne, le 16 juillet 1975 à 11 heures 46, alors que tu pêchais dans l’Hyrôme était un brochet de neuf livres. Il avait déjà cassé deux lignes, il en cassera encore trois autres. Il est mort de sa belle mort quatre ans plus tard, il pesait alors seize livres. C’est Hugues Tercellé qui t’a dénoncé quand tu as cassé un carreau à l’internat.
– Vous allez le punir pour cela ?
– Hugues Tercellé a fondé par la suite une association humanitaire qui a fourni plus de sept cent mille repas dans des régions touchées par la famine et son activité se poursuit. La balance penche en sa faveur.
– J’ai tout de même été viré.
– Tu n’as jamais été aussi heureux que ce jour-là, jamais. Tu as attrapé quatre cent trente et une crevettes, cent soixante douze sauterelles, soixante et un papillons, et cent rhumes, deux par an très ponctuellement. Trente quatre queues de lézards ou de rapiettes te sont restées entre les doigts, mais une seule après l’âge de quatorze ans. Huit personnes de ta connaissance se sont données la mort.
– Est-ce une faute comme on le prétend ? Sont-ils mal reçus ici ?
– Le châtiment infligé aux suicidés est très simple : pour eux, rien ne change. Mais ce n’est pas le lieu pour ces questions. Nous devons poursuivre sur ton cas personnel.
– J’ai attenté deux fois à ma vie !
– Des mises en scène. Tu ne courais aucun danger.
– De quoi serais-je mort si le livreur ne m’avait pas percuté ?
– Il n’a jamais été question d’une autre mort pour toi. C’est d’ailleurs pourquoi le pont vermoulu que tu as emprunté, le 3 août 1986, pour traverser le Briance a tenu. Le lendemain, il cédait sous le poids presque deux fois inférieur au tien de la jeune Claire Déclos dont le corps ne fut jamais retrouvé. Il fut emporté par un courant dans une galerie sous la falaise et dévoré par des anguilles. Une algue jaune ondule, enroulée autour de son fémur, regarde, c’est assez beau.
–  Non merci. Dites-moi plutôt : ai-je vu davantage de bouleaux en traversant la Sibérie en train que je n’en ai vus à force de porter mon regard, jour après jour, sur les trois bouleaux de mon jardin, en imaginant bien sûr que ces derniers aient été à chacun de ces regards des arbres différents ?
– Cela se joue à peu de choses. Tu as vu treize bouleaux de plus par la vitre de ton compartiment du Transsibérien. Au pied du deuxième bouleau de ton jardin, tu as enterré ton lapin Boule de feu, retrouvé égorgé derrière le delphinium. C’est le chat borgne de vos voisins Cernois qui l’a tué. Si tu avais creusé plutôt sous le troisième bouleau, tu aurais fait sonner avec ta pelle une boîte de biscuits en fer contenant des bijoux dissimulés là pendant la Première Guerre mondiale par les propriétaires d’alors, Enguerrand et Marguerite Tissier. Ils s’y trouvent toujours, deux bracelets d’or et une émeraude montée en bague d’une valeur de trois cent mille euros. Lucas Sylvestre, terrassier, les découvrira en retournant le terrain lors des travaux de construction du complexe commercial et sportif qui commenceront dans cinq ans, après l’expropriation de ta fille Sidonie.
– Vous ne voulez pas la prévenir ? Qu’elle creuse, puis qu’elle vende…
– Nous n’interférons jamais dans les transactions immobilières qui ne sont que des jeux sans conséquences. Le monde est à nous. L’Espagnole qui t’a souri le 17 juin 1999 dans un bar à tapas de Barcelone, et dont le sourire a enchanté ta vie durant de longs mois – souviens-toi : il s’en fallut de peu à ton retour que tu n’achètes un billet d’avion pour te lancer à sa recherche, tu avais même consulté les horaires – est une prostituée du nom de Silvia Jimenez qui tentait de t’aguicher. Son homme caché dans sa chambre devait t’égorger puis te dépouiller. Nous ne l’avons pas permis. Ce n’était pas ta mort, mais celle de Jose Monsato. Il n’eut le temps de saisir que le sein droit de Silvia et périt comblé cependant. Nous lui devions bien ça, sa vie ayant été auparavant bien terne et dépourvue de volupté. Mille neuf cent douze jours après t’avoir mis au monde, Simone Robin, sage-femme, extirpa d’un autre ventre mais avec la même paire de forceps Elisabeth Colson, quatre kilos sept cent, future épouse Lariotte. Non, tu ne t’es pas fait voler ton portefeuille, le 12 novembre 2011 à Remilly-en-Montagne, il est tombé de ta poche comme tu te penchais pour passer entre les barbelés d’une clôture. Le sabot d’une vache l’a ensuite poussé dans le fossé inondé qui longeait le pré. Son cuir se décompose. On ne le retrouvera pas.
– Vous prédisez aussi l’avenir ?
– L’avenir n’existe pas.

Published September 10, 2017
Excerpted from Juste ciel, Paris, Minuit 2015
© 2015, Les Éditions de Minuit

Ufficio delucidazioni - Entrare senza bussare da Santo cielo

Written in French by Éric Chevillard


Tradotto da Gianmaria Finardi

– Una piccola battuta innocente per distendere i nervi ai nuovi arrivati.
Albert ha ora la porta alle spalle. Cerca di capire da dove venga la voce che gli parla. Lui deve avere l’aria dubitativa, perché si ritiene giusto precisare:
– Entrare senza bussare, è per ridere.
– Fortunatamente, perché non ho trovato i miei pugni in tasca.
Risponde Albert, ma la sua battuta non suscita alcuna reazione nell’invisibile interlocutrice. Invisibile, ma -trice, stando alla sua voce acuta. È un indizio sufficiente, però? Nessun pugno in tasca, e niente negli slip. Privo di corpo, vuol dire essere eunuco in particolare. E poi i castrati hanno sempre avuto il favore degli dei, per i canti e per la loro astinenza.
– Moindre Albert?
– Ne dubita? Non mi darò la briga di rispondere a uno spirito onnisciente! Lei è onnisciente, vero, mi rassicuri, non ho alcun segreto per lei?
Albert Moindre, sei in questo ufficio non, in effetti, per compilare i nostri formulari ma per soddisfare la tua curiosità. La pace dell’anima ha questo prezzo, lo sappiamo, e, al fine di approfittare pienamente del proprio soggiorno qui, ogni richiedente si vede dapprima offrire l’opportunità di sistemare le questioni che lo ossessionano, di trovare conforto dagli interrogativi che lo tormentano.
– Che devo fare?
– Nulla. Lascia venire a galla le rivelazioni. Sei pronto?

– Eucalipto, è la parola che avevi sulla punta della lingua, il 12 luglio 1981 alle ore 18:37. Il piccolo riccio apparso nel tuo giardino, nell’estate dei tuoi cinque anni, e che avevi soprannominato Zag, fu ritrovato morto da tuo padre, annegato nella tazza di latte che gli avevi servito. Lui lo seppellì sotto un cespuglio e sostenne che, rinvigorito dalle tue cure amorevoli, avesse ripreso il suo errare. A più riprese poi, volle confessarti la verità, l’ultima volta il giorno del tuo cinquantesimo compleanno, ma non ne ebbe il coraggio.
– Zag? Ma io l’ho rivisto, l’anno seguente, due volte più grosso…
– Era un altro. La giovane Annie non ha mai ricevuto la tua lettera, intercettata da sua madre. Condivideva i tuoi sentimenti. Il taccuino che hai perso sul treno Parigi-Marsiglia, l’11 maggio 1994, fu ritrovato l’indomani da una religiosa dell’ordine delle Bernardine, suor Marie-Claire, che lo sfogliò per trovare un indirizzo, vi lesse la parola clitoride e lo gettò nella spazzatura alla stazione di Sète. Hai incrociato e persino leggermente urtato Marlène Dietrich, il 21 aprile 1988, sul marciapiede dell’avenue Montaigne, a Parigi.
– La cosa non mi preoccupava affatto dal momento che la ignoravo!
– Tutto deve essere chiarito. Hai pagato due volte il tuo caffè, il 16 marzo 2001, al bar Le comptoir des colonies. L’uomo che ti ha insultato e colpito in una galleria di Tolosa, nell’aprile 2003, ti ha preso per qualcun’altro, Victor Lombis, che gli doveva del denaro e al quale in effetti tu somigliavi stranamente, il che ti varrà ancora un dito medio cinque anni più tardi à Ulan-Bator. Possedevi un dono unico per il clarinetto basso…
– Solo che non l’ho mai toccato quello strumento!
– Un vero peccato. Palmyre è ritornata la sera stessa del giorno in cui ti ha lasciato. Ha suonato, chiamato, bussato alla porta. Sidonie piangeva. Ubriaco fradicio, non le hai sentite. Palmyre ha creduto che ti rifiutassi di aprire e se ne è andata per davvero.
– No?
– Sì. Portando via Sidonie. La zanzara che ti ha punto sul polpaccio destro, il 27 maggio 1971 a Draguignan, aveva precedentemente punto nello stesso posto lo scrittore Vladimir Nabokov in villeggiatura con sua moglie a Tourtour. Hai incrociato undici volte per caso nel corso della tua vita il cammino di Déborah Kingstone, fiorista a Mende, a insaputa di entrambi, l’ultima volta sulla Lexington avenue, a New York, il 30 marzo 2008. La giovane tedesca Susan Gade simulava il piacere tra le tue braccia.
– Lei mi ha assicurato il contrario.
– Simulava prima e mentiva poi.
– Come potete affermare simili cose?
– Tutto è noto.
– E se lei vi mentisse, anche a voi?
– Certi ci provano, ma tutto è noto. Hai posato il piede nel Sahara a otto centimetri da uno scorpione. Il secondo bambino concepito da Palmyre e che lei perse dopo cinque settimane di gravidanza sarebbe stato un maschio. Avevi ragione tu, era in campo.
– Ma cosa?
– Il diritto che ti avrebbe permesso di vincere il torneo di tennis intercomunale del Maine-et-Loire, categoria under-14, che fu giudicato out dall’arbitro, dopo di cui ti deconcentrasti completamente e perdesti la partita.
– No?!
– Riga piena. La corpulenta anziana signora che viveva nel tuo quartiere e che tu soprannominavi signora Bonanul per far divertire Sidonie si chiamava in realtà Odette Brûsapan. Il tuo professore di matematica di terza media, condannato per pedofilia a sette anni di prigione, era perfettamente innocente . Il tuo collega Magruder si tinge i capelli. Sei sceso centonovantotto volte dallo scivolo. Hai fatto millenovecentosettantasei bagni in mare. Non hai riconosciuto nella farmacista che ti ha venduto dei granuli omeopatici di arnica 5ch il 20 giugno 2011 a Talence la passeggera del volo Air Caraïbes per la Guadalupa che aveva fatto il viaggio vicino a te l’11 febbraio 1997 e che ti aveva lasciato bere il cordialino di punch del suo vassoio pasto. Lei non ti ha riconosciuto di più e sarà informata della coincidenza quando sarà giunto il momento.
– Vale a dire?
– Quando la morte se la porterà via, tra ventitré anni, un mese, due giorni, cinque ore, sedici minuti, sedici secondi, secondo l’orologio terrestre.
– Incidente circolatorio?
– Cancro alle ossa, atroce. Il furgoncino delle consegne che ti ha urtato fatalmente trasportava sei cassette da ventidue barattoli di olive verdi non denocciolate e sessantasei libbre di datteri in rami. Lo guidava Gaétan Lariotte, sposato con Élisabeth Colson e padre di quattro bambini. Vuoi i loro nomi?
– Inutile. Lui non ha niente?
– No, ma è seccato. La sua assicurazione rifiuta di farsi carico della riparazione del veicolo. È vero che hai fatto un danno non da niente alla carrozzeria. La tua anca ha sfondato una fiancata.
– È ironia?
– Fatti. Qui, nient’altro che fatti. Per lealtà verso di te, Palmyre ha stoicamente rifiutato gli approcci insistenti del suo collega Hervé Pierre, a dispetto dell’attrazione che lei stessa provava. Il 12 ottobre 1996, rischiò di cedere, poi si liberò dal suo abbraccio e scappò. Al suo ritorno a casa, tu l’hai salutata con un grugnito senza staccare gli occhi dallo schermo della televisione. Lei ha pianto a lungo in cucina. Poi si è masturbata sotto la doccia.
– Avete l’occhio a tutto questo?
– Nulla ci sfugge. Hai mangiato esattamente tanti meloni quanti sono i letti diversi che hai utilizzato, novecentotre. Hai svuotato quattrocentoventidue tubetti di dentifricio. Hai bevuto cinquantotto litri di rum.
– State arrotondando?
– I decimali sono a tua disposizione. Il pesce che ti ha rotto la lenza, il 16 luglio 1975 alle 11:46, mentre pescavi nell’Hyrôme era un luccio di nove libbre. Aveva già rotto due lenze, ne romperà ancora altre tre. È morto di morte naturale quattro anni dopo, pesava allora sedici libbre. È Hugues Tercellé che ti ha denunciato quando hai rotto il vetro di una finestra in convitto.
– Lo punirete per questo?
– Hugues Tercellé ha fondato in seguito un’associazione umanitaria che ha fornito più di settecentomila pasti in regioni colpite da carestia e la sua attività va avanti. La bilancia pende in suo favore.
– Io sono stato licenziato lo stesso.
– Non sei mai stato felice come quel giorno, mai. Hai preso quattrocentotrentuno gamberetti, centosettantadue cavallette, sessantuno farfalle, e cento raffreddori, due per anno molto puntualmente. Trentaquattro code di lucertole o di muraiole ti sono restate tra le dita, ma una sola dall’età di quattordici anni. Otto persone di tua conoscenza si sono date la morte.
– È una colpa come si pretende? Sono mal accolte qui?
– Il castigo inflitto ai suicidi è molto semplice: per loro, non cambia nulla. Ma non è questo il luogo per simili questioni. Dobbiamo insistere sul tuo caso personale.
– Io ho attentato due volte alla mia vita!
– Delle messe in scena. Non correvi alcun pericolo.
– Di cosa sarei morto se il fattorino non mi avesse investito?
– Non è mai stata questione di un’altra morte per te. Ecco del resto perché il ponte tarlato che hai preso, il 3 agosto 1986, per attraversare la Briance ha tenuto. L’indomani, cedette sotto il peso quasi due volte inferiore al tuo della giovane Claire Skiodos il cui corpo non venne mai ritrovato. Venne portato via da una corrente in una galleria sotto la scogliera e divorato dalle anguille. Una giovane alga ondeggia, avvolta attorno al suo femore, guarda, è abbastanza bello.
– No, grazie. Ditemi piuttosto: ho visto più betulle attraversando la Siberia in treno di quante non ne abbia viste a forza di posare il mio sguardo, giorno dopo giorno, sulle tre betulle del mio giardino, immaginando ovviamente che quest’ultime siano state a ognuno dei miei sguardi degli alberi diversi?
– Siamo lì. Hai visto tredici betulle in più attraverso i vetri del tuo scompartimento della Transiberiana. Ai piedi della seconda betulla del tuo giardino hai sepolto il tuo coniglio Palla di fuoco, ritrovato sgozzato dietro il delfinium. È il gatto monocolo dei vicini Okiaye che l’ha ucciso. Se avessi scavato piuttosto sotto la terza betulla, avresti fatto suonare con la tua pala una scatola per gallettine di ferro che conteneva dei gioielli nascosti là durante la Prima Guerra mondiale dai proprietari di allora, Enguerrand e Marguerite Tesser. Si trovano lì tutt’ora, due braccialetti d’oro e uno smeraldo montato su un anello del valore di trecentomila euro. Luca Sylvestre, terrazzatore, li scoprirà rivoltando il terreno in occasione dei lavori di costruzione del complesso commerciale e sportivo che cominceranno tra cinque anni, dopo l’esproprio di tua figlia Sidonie.
– Non volete avvisarla? Che scavi e poi che venda…
– Noi non interferiamo mai nelle transazioni immobiliari che sono solamente dei giochi senza conseguenze. Il mondo è nostro. La spagnola che ti ha sorriso il 17 giugno 1999 in un bar da tapas di Barcellona, e il cui sorriso ha come d’incanto entusiasmato la tua vita durante lunghi mesi – ricordati: tra mille pene ci mancò poco al tuo ritorno che comprassi un biglietto aereo per lanciarti alla sua ricerca, avevi persino consultato gli orari – è una prostituta dal nome di Silvia Jimenez che tentava di adescarti. Il suo uomo nascosto in camera sua doveva sgozzarti e poi spogliarti di tutto. Noi non lo abbiamo permesso. Non era la tua morte, ma quella di Jose Monsato. Lui ebbe solo il tempo di afferrare il seno destro di Silvia e tuttavia perì soddisfatto. Gli dovevamo ben questo, dato che la sua vita era stata prima ben scialba e priva di voluttà. Millenovecentododici giorni dopo averti messo al mondo, Simone Robin, levatrice, estirpò da un altro ventre ma con lo stesso paio di forcipi Élisabeth Colson, quattro chili e sette, futura sposa Lariotte. No, non ti sei fatto rubare il portafoglio, il 12 novembre 2011 à Remilly-en-Montagne, ti è caduto dalla tasca mentre ti piegavi per passare tra i fili spinati di una recinzione. Lo zoccolo di una vacca lo ha poi spinto nel fossato allagato che costeggiava il prato. Il suo cuoio si decompone. Non sarà ritrovato.
– Predite anche l’avvenire?
– L’avvenire non esiste.

Published September 10, 2017
Excerpted from Juste ciel, Paris, Minuit 2015
© 2015, Les Éditions de Minuit
© 2017, Specimen


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Voici venue l’heure du verdict, l’heure des révélations. Albert Moindre est mort et il découvre l’au-delà, ce qu’il en est, ce qui s’y passe. Sommes-nous vengés ? Sommes-nous punis ? À quoi ressemble le Royaume des cieux ? Ce témoignage de première main apporte des réponses à nombre de nos interrogations anciennes. On le lira si ces questions nous tourmentent, pour être fixés une bonne fois.
Éric Chevillard et son traducteur Gianmaria Finardi seront au Festival Babel le dimanche 17 septembre à 16h00.

Ecco giunta l’ora del verdetto, l’ora delle rivelazioni. Albert Moindre è morto e scopre l’aldilà, com’è, cosa vi accade. Siamo vendicati? Siamo puniti? A cosa somiglia il Regno dei cieli? Questa testimonianza di prima mano fornisce risposte a gran parte degli interrogativi che ci poniamo da sempre. Lo si leggerà se queste questioni ci assillano, perché siano risolte una volta per tutte.
Éric Chevillard e il suo traduttore Gianmaria Finardi saranno al festival Babel domenica 17 settembre alle ore 16.00.


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