From Le traducteur

Written in French by Jacques Gélat

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages

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Je suis un traducteur. Au départ c’est un plaisir qui ressemble un peu au métier de comédien. On doit se faire à l’autre, l’écouter, le comprendre, s’en imprégner, avec cette différence qu’au lieu d’un personnage, c’est un roman qu’il va falloir traduire.

Je procède toujours de la même façon. Une fois le livre en main je m’enferme chez moi. J’attends ensuite la nuit pour commencer à lire. La nuit la violence du monde extérieur s’atténue, on est davantage disponible. Assis derrière mon bureau je lis à la lumière d’une lampe très douce; c’est une première rencontre, une sorte de dîner aux chandelles, espoir d’une séduction possible, d’un plaisir à venir. C’est tout ce que j’espère, être charmé.

Pour l’être je dois commencer à oublier qu’il me faudra traduire. Par automatisme j’aurais tendance à repérer les phrases ou les mots qui vont poser problème. Mais j’oublie facilement. L’oubli peut être une qualité comme un défaut. Ici, c’est un don. Je me laisse emporter, je m’abandonne à l’auteur, je le laisse faire, je n’ai pas le droit de le contrarier, il a toujours raison; lui résister, chicaner, serait commencer à lui être infidèle, et l’infidélité est le pire des crimes pour un traducteur. Cette première lecture ne doit pas me quitter. Elle m’a dit l’essentiel, la musique du livre. Je l’écoute encore quelques jours. Il ne me faudra pas l’oublier. Et puis, je commence à traduire.

L’auteur et moi formons ainsi un couple heureux. Alors pourquoi l’avoir un jour brisé? Pourquoi avoir trahi? Pourquoi être devenu infidèle? J’en reviens à l’oubli, qualité ou défaut, en tout cas composant essentiel de ma personne puisque cela a commencé par lui. J’ai commis un oubli. Un oubli minime. Si minime qu’il faut un autre mot. Par exemple, infinitésimal. J’ai oublié un point-virgule.

C’était un jour de printemps. J’avais apporté à mon éditeur ma dernière traduction. Elle était posée sur son bureau juste à côté du roman traduit. À un moment l’éditeur est sorti pour une raison dont je ne me souviens plus. Les deux objets restaient devant moi, l’original et la traduction. Pourquoi m’en suis-je emparé? Pourquoi me suis-je mis à les soupeser, à les mettre l’un sur l’autre, à les feuilleter? C’était sans doute un geste d’attente, ou peut-être le plaisir de caresser un travail fini. Toujours est-il que, dernier réflexe de traducteur, j’en arrivais à lire la phrase finale de chaque volume. J’y découvrais alors une anomalie. À la place d’un point-virgule j’avais mis une virgule. 

L’auteur avait écrit, «C’était fini; le jour allait commencer». J’avais traduit, «C’était fini, le jour allait commencer».

L’ajout d’un simple point au-dessus de la virgule suffisait à corriger cette faute. Je ne l’ai pas fait. J’ai regardé de nouveau le point-virgule, la virgule. Ils m’indifféraient. Et j’ai remis à leur place le roman et ma traduction.

J’aurais dû me rendre compte que quelque chose commençait. Mais c’est souvent le propre des débuts de se faire oublier; combien de guerres et combien d’amours aurait-on évitées en les voyant venir. 

Néanmoins j’étais marqué puisque lors de la traduction suivante j’ai commencé à m’interroger sur la valeur des points-virgules et des virgules. Naturellement je pourrais vous parler de leur différence, dans bien des cas parfaitement inutile, mais mon propos est ailleurs. Il est, qu’ensuite, j’ai éliminé du livre un nombre considérable de points-virgules. Quarante-huit exactement. Si quelqu’un s’en était aperçu mon destin serait sans doute resté le même. Mais ce ne fut pas le cas. Personne ne remarqua leur absence. Que l’éditeur ne l’ait pas fait m’apparut normal. Un éditeur fait traduire plusieurs livres en même temps et lui en vouloir de ne pas relever la disparition de quarante-huit points-virgules serait injuste. Par contre la réaction de l’auteur, un anglais que je rencontrai un an plus tard, me fut inadmissible. Il parlait parfaitement le français et, à l’entendre, ma traduction l’avait enchanté. Je croyais d’abord à des compliments de surface, me demandant s’il l’avait vraiment lue.

Mais, poussant plus loin la conversation, je me rendis compte, à plusieurs détails, qu’il l’avait fait. Sans s’apercevoir de rien.

Peut-on en vouloir à un auteur de ne pas se souvenir de ses points-virgules ? Bien sûr que non, et ce d’autant qu’il avait fini son livre trois ans auparavant. Pourtant je lui en voulais. Je crois que ma rancune venait d’avoir toujours été parfaitement pointilleux, par respect de l’auteur, par amour de la littérature, par besoin de fidélité. Et j’attendais en retour les mêmes qualités. Mais peut-être cette rancœur m’était-elle nécessaire pour dégager les premiers obstacles du chemin que j’allais emprunter. Peut-être voulais-je aussi tester l’attention, l’estime, qu’un auteur ou un éditeur porte à un traducteur? Comment le savoir? D’ailleurs, pour avoir traduit tant et tant de personnages je sais qu’une seule raison n’explique pas tout.

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The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published June 18, 2021
Excerpted from Jacques Gélat, Le traducteur, José Corti, Paris 2006
© José Corti 2006

From The Translator

Written in French by Jacques Gélat

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages


Translated into English by Edward Gauvin

I am a translator. At first, it is a pleasure a bit like being an actor. You have to get used to someone else, listen to him, understand him, immerse yourself in him, except that a novel, rather than a character, must be interpreted.

I always proceed in the same manner. Once the book is in hand, I shut myself away at home. I wait till dark to start reading. At night, the violence of the outside world subsides; you’re that much more available. Seated at my desk, I read by a lamp that gives off a very soft glow: it’s a first date, a kind of candlelit dinner, hope for potential seduction, for pleasure to come. That’s all I’m hoping for—to be charmed.

For that to happen, I must start by forgetting what I will have to translate. I tend instinctively to spot words or phrases that will pose a problem. But I forget them easily. Forgetting can be as much a virtue as a defect. Here, it is a gift. I let myself be swept away, I surrender myself to the author, I let him do as he wishes, I haven’t the right to impede him, he’s always right; to resist him, to bicker, would be the beginnings of infidelity, and for a translator, infidelity is the worst of crimes. This first reading must stay with me. It tells me what’s essential: the music of the book. I keep listening to this for the next few days. I must not forget it. And then, I begin to translate.

In this way, the author and I form a happy couple. Then why, one day, did I tear it apart? Why did I betray? Why did I grow unfaithful? Let us return to forgetting, virtue or defect, and in any case an essential part of myself, since it is how all this began. I committed an act of forgetting. A trifling one. So trifling another word is required. Infinitesimal, for example. I forgot a semicolon.

It was a spring day. I’d brought my editor my latest translation. It was sitting on his desk just next to the novel I’d translated. At one point, my editor stepped out for a reason I no longer remember. The two objects remained before me, the original and the translation. Why did I take hold of them? Why did I start weighing them, setting one atop the other, leafing through their pages? Something to do while waiting, no doubt, or perhaps the pleasure of caressing a completed task. The fact remains that—a translator’s final instinct—I wound up reading the last line of each work. There I discovered an anomaly. Instead of a semicolon, I’d put in a comma.

The author had written, “It was over; day was about to begin.” I had translated, “It was over, day was about to begin.”

The addition of a simple dot above the comma would have sufficed to correct this mistake. I did not add it. I gazed once more at the semicolon, the comma. They left me indifferent. And I set the novel and my translation back in their place.

I should’ve realized that something was starting just then. But it is often a quirk of beginnings to be forgotten; how many wars, how many affairs would we have avoided had we seen them coming?

Nevertheless, the episode marked me, for in the course of my next translation I began to wonder about the value of semicolons and commas. Naturally, I could go on about the differences between them, in many cases perfectly pointless, but my intentions lie elsewhere. It so happened that I then eliminated a considerable number of semicolons from that next book. Forty-eight, to be exact.

If someone had noticed, my fate would no doubt have gone on unaltered. But this wasn’t the case. No one noticed their absence. That the editor hadn’t seemed normal to me. An editor has several translations going at the same time, and begrudging him for not noticing the disappearance of forty-eight semicolons would be unfair. On the other hand, the reaction of the author, an Englishman I met a year later, was unacceptable. His French was perfect and, to hear him speak, my translation had enchanted him. I thought these superficial compliments at first, and wondered if he’d really read it. But, pressing the conversation further, I realized from several details that he had. Without noticing a thing.

Can one begrudge an author for not remembering his semicolons? Of course not, and all the more so since he’d finished his book three years earlier. Yet begrudge him I did. I believe my resentment came from having always been perfectly punctilious, out of respect for the author, love for literature, and need for fidelity. And I expected the same virtues in return. But perhaps this rancor was necessary to clear the first obstacles from the path I was about to take. Perhaps I also wished to test the attention, the respect, that an author or editor bears a translator? How to tell? From having translated so much, and so many characters, I know there’s never only one reason for anything.

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The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published June 18, 2021
© Edward Gauvin 2013

From Il traduttore

Written in French by Jacques Gélat

| A specimen of Babel: Stories on the loss of the earth’s one speech and the confusion of languages


Translated into Italian by Lorena Lombardi

Sono un traduttore. All’inizio è un piacere che somiglia un po’ al mestiere dell’attore. Bisogna darsi all’altro, ascoltarlo, capirlo, impregnarsene, con la sola differenza che anziché un personaggio, è un romanzo che si dovrà interpretare. 

Procedo sempre allo stesso modo. Una volta che il libro è tra le mie mani, mi chiudo in casa. Poi aspetto la notte per iniziare a leggere. Di notte la violenza del mondo esterno si attenua, si è più disponibili. Seduto alla mia scrivania, leggo alla luce soffusa di una lampada; è il nostro primo incontro, una sorta di cena a lume di candela, la speranza di una possibile seduzione, di un piacere imminente. La sola cosa che desidero è restare affascinato. 

Per esserlo devo iniziare a dimenticare che dovrò tradurre. Avrei in automatico la tendenza a individuare frasi o parole che potrebbero pormi dei problemi. Ma dimentico facilmente. La dimenticanza può essere una qualità come un difetto. In questo caso è un dono. Mi lascio trasportare, mi abbandono all’autore, lo lascio fare, non ho il diritto di contrariarlo, ha sempre ragione… Resistergli, cavillare, sarebbe come cominciare a essergli infedele e l’infedeltà è il peggiore dei crimini per un traduttore. Questa prima lettura non può più abbandonarmi. Mi ha mostrato l’essenziale, la musica del libro. L’ascolto ancora qualche giorno. Non dovrò più dimenticarla. Poi, comincio a tradurre.

In questo modo, l’autore e io formiamo una coppia felice. Allora perché averla distrutta? Perché averlo tradito? Perché essere diventato infedele? Ritorno quindi al concetto di dimenticanza, qualità o difetto, in ogni caso una parte essenziale della mia persona poiché tutto è cominciato da lì. Ho commesso una dimenticanza. Una dimenticanza minima. Così minima che avrei bisogno di un’altra parola. Infinitesimale, ad esempio. Ho dimenticato un punto e virgola.

Era un giorno di primavera. Avevo consegnato all’editore la mia ultima traduzione. L’avevo poggiata sulla sua scrivania proprio accanto al romanzo tradotto. A un tratto, lui è uscito per un motivo che neanche ricordo più. I due oggetti, l’originale e la traduzione, si ritrovarono così, soli, davanti a me. Perché me ne sono impossessato? Perché mi sono messo a controllarli, a leggerli uno accanto all’altro, a sfogliarli? Si trattava senza dubbio di un gesto di attenzione o del piacere di accarezzare un lavoro finito. Ad ogni modo, estremo riflesso da traduttore, giunsi a leggere la frase finale di ciascun volume. E fu lì che scoprii un’anomalia. Avevo messo una virgola al posto di un punto e virgola. 

L’autore aveva scritto, “Era finita; il giorno stava per cominciare.” Io avevo tradotto, “Era finita, il giorno stava per cominciare.”

L’aggiunta di un semplice punto sopra la virgola sarebbe bastato a correggere il mio errore. Non lo feci. Guardai ancora una volta il punto e virgola, la virgola. Mi erano del tutto indifferenti. E rimisi al loro posto il romanzo e la sua traduzione. 

Avrei dovuto capire in quel momento che qualcosa stava per accadere. Ma è solito degli inizi passare inosservati: quante guerre e quanti amori ci saremmo risparmiati vedendoli arrivare! 

Eppure quell’episodio mi aveva segnato perché, durante la traduzione seguente, iniziai a interrogarmi sempre più sul valore delle virgole e dei punti e virgola. Naturalmente potrei parlarvi della loro differenza, in molti casi completamente inutile, ma il punto del mio discorso è un altro. Ed è che in seguito, eliminai dal romanzo un numero considerevole di punti e virgola. Quarantotto per la precisione. Probabilmente, se qualcuno se ne fosse accorto, il mio destino sarebbe comunque rimasto lo stesso. Ma questo non accadde. Nessuno si rese conto della loro assenza. Che l’editore non lo avesse notato mi sembrò normale. Un editore fa tradurre più libri contemporaneamente e volergliene per non aver rilevato la scomparsa di quarantotto punti e virgola sarebbe stato ingiusto. Al contrario però, ciò che mi parve inammissibile fu la reazione dell’autore, un inglese che incontrai un anno dopo. Parlava francese benissimo e, a sentirlo, la mia traduzione lo aveva stregato. All’inizio pensai a dei semplici complimenti di cortesia, chiedendomi se davvero avesse letto il mio lavoro. Ma proseguendo nella conversazione mi resi conto, più volte, che l’aveva proprio fatto. Senza accorgersi di niente. 

È giusto indignarsi con un autore per non essersi ricordato dei suoi punti e virgola? Certo che no e soprattutto perché il libro era stato scritto tre anni prima. Eppure ero arrabbiato. Forse il mio astio proveniva dal fatto di essere sempre stato molto puntiglioso nel mio lavoro: per rispetto dell’autore, per amore della letteratura, per bisogno di esattezza. E richiedevo in cambio le stesse qualità. Forse avevo bisogno di provare tutto quel rancore per dare il via al difficile percorso che stavo per intraprendere? O forse volevo testare l’interesse e la stima che un autore, o un editore, ha nei confronti di chi traduce? Come potevo saperlo? Del resto, dopo aver tradotto così tante storie, so bene che una sola ragione non è mai abbastanza per spiegare tutto. 

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The myth of Babel tells of the loss of the earth’s one language and one speech, and the confusion of languages. Suddenly every object and every idea assumed a plurality of names, and the oversized tower, symbol of human imagination and hubris, was abandoned within the shadow foreboding its destruction. With an unprecedented series of correlated texts, Specimen explores these magnificent ruins, hearing echoes of the multiplicity of languages and the birth of translation. This collection includes texts about Babel, translation or language, and special translations. In September 2021, 20 years after 9/11, the Babel festival will focus on the multiplication of languages and the present diaspora from the regions of ancient Babylon – the scattering of the children of men over the face of all the earth. >> www.babelfestival.com

Published June 18, 2021
© Lorena Lombardi


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