La femme de R. from La querelle des images

Written in French by Abdelfattah Kilito

Add

Quand un homme pénétrait dans notre rue (en fait une impasse qui formait un coude en son milieu), il voyait inévitablement, et quelle que fût l’heure du jour, une tête de femme disparaitre derrière une porte. Un étranger n’y prêtait pas grande attention, tout au plus éprouvait-il ce léger trouble que provoque un visage féminin entrevu. Il continuait son chemin sans remarquer que la porte ne s’était pas complètement refermée, qu’un œil avide le suivait, que la tète réapparaissait pour voir devant quelle maison il allait s’arrêter. Mais un familier des lieux savait à quoi s’en tenir et à qui il avait affaire. Amusé ou agacé, parfois mème indigné, il subissait le regard qui se fixait dans son dos, détaillait son costume et soupesait le couffin qu’il portait. Comme les hommes de ce temps-là étaient pudiques, nul ne se retournait pour s’assurer qu’il était observé et confondre la coupable.

La femme de R. passait toute la journée derrière sa porte et ne se retirait qu’à la tombée de la nuit, juste avant le retour de son mari. Jamais elle ne sortait, et jamais elle ne recevait. Femme du seuil, elle vivait à la limite du monde extérieur dont elle recueillait cependant, de manière clandestine, tous les échos. On ne savait rien d’elle, sinon qu’elle était la femme de R., et que sa curiosité était sans limites. Ses voisines, dans les rares occasions où elles sortaient, la saluaient précipitamment et s’enfuyaient, sinon elles étaient interrogées sur les petites et les grandes choses. La femme de R. les harcelait de questions inattendues, elle les dénudait, les obligeait à lui révéler leurs pensées les plus secrètes, et quand ses victimes réussissaient enfin à lui échapper, en se rappelant qu’il est inconvenant qu’une femme restât longtemps dehors, elles rentraient chez elles pantelantes, avec la désagréable impression d’avoir été fouillées et impitoyablement vidées de leur substance. Selon l’opinion commune, les femmes aiment raconter et se raconter, mais dans le cas présent, les interrogatoires auxquels étaient soumises les voisines (et qu’elles évoquaient parfois entre elles, en chuchotant) dépassaient toutes les bornes.

Constatant que les femmes échappaient à la toile d’araignée qu’elle tissait derrière sa porte, la femme de R. se rabattait sur les enfants, à qui elle offrait un gâteau ou une sucrerie, et qui la renseignaient abondamment, parfois même au-delà de son attente. Dans leur naïveté, ils rapportaient des choses dont ils ne saisissaient pas la portée, mais qui ouvraient pour elle des perspectives inespérées, des abîmes insoupçonnés. Ses yeux s’écarquillaient quand un enfant lui répétait, par exemple, les premiers mots que son père, au réveil, adressait à sa mère. Chaque fois que je revenais d’une commission, elle m’appelait et, tout en fouillant le couffin, m’interrogeait sur mes parents, mes grands-parents, mes cousins et cousines ; lambeau après lambeau, elle m’arrachait des informations sur toute la famille.  À vrai dire, je m’y prêtais de bonne grâce, car en me parlant, elle me caressait les cheveux ou arrangeait le col de ma chemise. Que de secrets n’ai-je pas révélés, en toute candeur !

Elle n’avait pas d’enfants. Quand le chien de la maison qui fermait l’impasse sortait pour sa promenade, il s’arrêtait un moment devant sa porte ; elle lui passait doucement les mains sur les poils, en regrettant sans doute qu’il n’eut pas le don de la parole.

Son mari, l’homme le plus discret du monde, toujours propre et net, jouissait de l’estime générale. Les enfants l’adoraient : il leur reconnaissait le droit de jouer dehors. La rue en effet ne nous appartenait pas ; dès qu’un adulte était signalé, nous nous dépêchions de rentrer chez nous, et la rue qui un instant auparavant retentissait de nos cris de nos jeux, se vidait et devenait silencieuse comme par enchantement. Chaque homme avait autorité sur les enfants, les siens et ceux des voisins, et lorsqu’il les surprenait en train de jouer, il confisquait leurs pauvres jouets, billes, osselets ou toupies selon la saison; quant aux balles, il y enfonçait les ongles et, avec une grimace de rage, les déchirait (les adultes, Dieu sait pourquoi, s’acharnaient surtout sur les balles). R. ne nous dérangeait jamais ; un sourire indulgent sur les lèvres, il passait son chemin, d’un pas tranquille. Il commençait à vieillir, et on murmurait qu’il ferait mieux d’épouser une autre femme. Je ne sais si ces rumeurs parvenaient à ses oreilles ; elles n’auraient de toute façon pas altère sa bonté, ni effacé son sourire désarmant. Il était le seul à ne pas savoir que sa femme se tenait toute la journée derrière la porte ; c’était du moins ce qu’on se disait, tout en le plaignant.

Avec le recul, on peut penser que sa femme était la victime d’un système social qui la condamnait à un guet sournois derrière une porte, à une surveillance avide, à cette perversion du savoir qu’est la curiosité. Mieux, on peut raffiner et évoquer l’histoire, la grande, dont la marche dépasse la compréhension des acteurs ; des années plus tard, ils découvrent qu’ils ont été les instruments de forces qu’ils ne maitrisaient pas ; ils détectent alors dans le passé des indices révélant la logique des événements, mais qu’ils n’avaient pas correctement interprétés. En clair, la femme de R. préfigurait la femme nouvelle qui se préparait à sortir de sa chrysalide et à affronter le monde extérieur. Son comportement était inspiré par la révolte contre l’enfermement et l’ignorance qui étaient le lot des femmes. Par sa curiosité, elle manifestait le désir de s’instruire et de participer à la vie publique. Sur le seuil de sa maison, elle n’avait qu’un pas à faire pour se retrouver de l’autre côté, dans le territoire des hommes. Mais le moment n’était pas encore venu.

Cette explication, plausible pour un sociologue, fait fi de l’intention des individus, de leur perception immédiate des choses. La vérité était plus simple : la femme de R. avait un secret, mais je dois, avant de le divulguer, préciser que dans le fond, son attitude ne diffère pas de celle des historiens, chroniqueurs et biographes qui fouillent le passé et le présent, interrogent des témoins, recueillent des confidences, accomplissent parfois de longs et pénibles voyages pour vérifier si tel personnage a dit telle parole qu’on lui attribue. Il est vrai qu’ils s’intéressent, eux, à des rois, à des vizirs, à des êtres exceptionnels, alors qu’elle, plus humble, ne s’intéressait qu’à une ruelle où vivaient quelques familles apparemment sans histoire. Mais elle déployait dans ses enquêtes une énergie égale sinon supérieure à celle des chroniqueurs professionnels, et au fil des années, elle amassa un savoir impressionnant ayant trait à la généalogie, aux alliances, à la polémologie, à la sexualité, à la cuisine, aux arts et métiers et à bien des choses encore.

Elle était cependant incapable de mettre par écrit son savoir (beaucoup de romanciers ont connu la gloire par l’enregistrement des faits et gestes des habitants d’une rue ou d’un immeuble). Elle n’y songeait d’ailleurs nullement, étant exclusivement une femme de la tradition orale. Elle connaissait des milliers de secrets, des milliers d’histoires, elle était l’archiviste de l’impasse, mais personne ne venait la consulter. Or, à quoi peut servir un savoir qui ne serait pas transmis ? Les épopées se seraient perdues si les rhapsodes n’étaient pas allés les réciter de ville en ville, et l’immense culture d’Hérodote et de Mas’oudi se serait évaporée s’ils ne l’avaient pas communiquée à leurs lecteurs.

Inséparable de la transmission, la curiosité appelle la complicité, le chuchotement fébrile, les regards entendus :la victime est dévorée toute crue, on se réunit autour du cadavre pour un repas de cannibales. L’être curieux n’est pleinement satisfait que lorsqu’il révèle à autrui ce qu’il a vu, entendu ou appris. De façon étrange, la femme de R. faisait exception à la règle : elle ne s’ouvrait à personne, ne répercutait jamais les bruits de la rue qui lui parvenaient. L’ostracisme qui la frappait ne lui permettait d’ailleurs pas d’entretenir des relations de confiance et de confidence avec ses voisines. En tout cas, elle ne chercha à aucun moment à tirer profit de son savoir, à intervenir par exemple dans les problèmes des ménages. A y bien réfléchir, elle était d’une discrétion parfaite. Peut-être mème y avait-il du mépris dans sa manière de se comporter avec les autres : elle recevait tout, sans rien donner. On eût dit qu’elle ne croyait pas aux vertus du dialogue, de l’échange, du partage.

C’est qu’elle se réservait pour son mari. Le soir, quand il rentrait, elle s’asseyait à ses pieds et, jusqu’à l’aube, lui racontait les histoires recueillies durant la journée. Et c’est sans doute ce qui explique le regard doux, vaguement amusé, que R. promenait sur les êtres et les choses. Grace aux récits de sa femme, il avait acquis une sagesse qui le rendait serein et imperturbable. On dira qu’elle le dominait par le discours qu’elle lui servait quotidiennement, mais il s’agissait d’une domination qu’il acceptait, et même réclamait. Il lui fallait chaque nuit sa ration d’histoires. Lorsqu’il mourut, on ne vit plus sa femme derrière la porte.

Published September 13, 2017
From La querelle des images, éditions EDDIF, 1996
© 1996, EDDIF

La moglie di R. da La querelle des images

Written in French by Abdelfattah Kilito


Tradotto in italiano da Yari Moro

Quando un uomo si addentrava nella nostra via (di fatto un vicolo cieco piegato a gomito nel mezzo), vedeva immancabilmente, e a qualsiasi ora del giorno, la testa di una donna scomparire dietro una porta. Un estraneo quasi non ci avrebbe fatto caso, al limite avrebbe avvertito quel lieve turbamento che si prova quando s’intravede il volto di una donna. Avrebbe proseguito per la sua strada senza accorgersi che la porta non si era completamente richiusa, che un occhio avido lo seguiva, che la testa riappariva per controllare davanti a quale casa si sarebbe fermato. Ma uno del posto sapeva cosa aspettarsi e con chi aveva a che fare. Divertito o irritato, talvolta addirittura indignato, subiva lo sguardo che si fissava nella sua schiena, esaminava com’era vestito e soppesava la cesta che portava. Siccome a quell’epoca gli uomini erano pudichi, nessuno si voltava per accertarsi di essere osservato e smascherare il colpevole.

La moglie di R. trascorreva la giornata dietro la porta e si ritirava in casa solo sul far della notte, poco prima che suo marito rientrasse. Non usciva mai, non invitava mai nessuno. Donna della soglia, viveva sul confine con il mondo esterno di cui però, in maniera clandestina, raccoglieva tutti gli echi. Di lei non si sapeva nulla, se non che era la moglie di R. e che la sua curiosità era senza limiti. Le sue vicine, nelle rare occasioni in cui usciva, la salutavano alla svelta e fuggivano via, altrimenti sarebbero state interrogate sulle piccole e sulle grandi questioni. La moglie di R. le assillava con domande impreviste, le metteva a nudo, le obbligava a rivelare i loro pensieri più nascosti, e quando finalmente le sue vittime riuscivano a sfuggirle, rammentandosi che non è opportuno per una donna stare fuori troppo a lungo, rientravano a casa turbate, con la sgradevole sensazione di essere state perquisite e svuotate senza pietà della loro stessa essenza. È opinione comune che le donne amino raccontare e raccontarsi, ma in questo caso gli interrogatori a cui le vicine erano sottoposte (e che talvolta rievocavano sottovoce) superavano ogni limite.

Constatando che le donne sfuggivano alla tela di ragno che andava tessendo dietro la porta, la moglie di R. ripiegava sui bambini, a cui offriva un po’ di torta o un dolce, e che le davano generose informazioni, a volte anche al di là delle sue aspettative. Nella loro ingenuità riferivano cose di cui non coglievano la portata, ma che a lei aprivano prospettive insperate, abissi inattesi. Sgranava gli occhi quando per esempio un bambino le ripeteva le prime parole che suo padre, al risveglio, rivolgeva alla madre. Tutte le volte che tornavo da una commissione lei mi chiamava e, frugando nella cesta, m’interrogava sui miei genitori, i miei nonni, i cugini e le cugine; mi strappava brandelli di informazioni su tutta la famiglia. A dire il vero io mi prestavo al gioco volentieri, perché mentre mi parlava mi accarezzava i capelli o mi sistemava il collo della camicia. Quanti segreti ho rivelato in tutta innocenza!

Non aveva figli. Quando il cane della casa in fondo al vicolo andava a fare un giretto si fermava un attimo davanti alla sua porta; lei lo accarezzava con dolcezza, certo rammaricandosi che non avesse il dono della parola.

Suo marito, l’uomo più discreto di questo mondo, sempre impeccabile, godeva della stima generale. I bambini lo adoravano: riconosceva loro il diritto di star fuori a giocare. La strada infatti non ci apparteneva; non appena veniva segnalato un adulto, tornavamo a casa di corsa, e la strada che poco prima rimbombava delle nostre grida e dei nostri giochi si svuotava e taceva come per incanto. Gli uomini avevano piena autorità sui bambini, sui loro e su quelli dei vicini, e quando li sorprendevano intenti a giocare, confiscavano i loro poveri giochi, biglie, ossicini o trottole a seconda della stagione; nei palloni, invece, piantavano le loro unghie e li facevano a pezzi (Dio solo sa perché gli adulti si accanivano in special modo sui palloni). R. non ci dava mai fastidio; proseguiva a passo tranquillo, con un sorriso indulgente sulle labbra. Cominciava a invecchiare, e si mormorava che avrebbe fatto meglio a sposare un’altra donna. Non so se queste voci gli arrivassero all’orecchio; in ogni modo non avrebbero certo alterato la sua bontà e neppure cancellato il suo sorriso disarmante. Era l’unico a non sapere che sua moglie stava tutto il giorno dietro la porta; almeno, era quel che si diceva compatendolo.

Col senno di poi, si potrebbe dire che sua moglie fosse la vittima di un sistema sociale che la condannava a una vigilanza sorniona dietro una porta, a un’avida sorveglianza, a quella perversione del sapere che è la curiosità. Ma si potrebbe anche chiamare in causa e interrogare la storia, la grande storia, il cui corso supera la comprensione degli attori; anni dopo scoprono di essere stati gli strumenti di forze che non controllavano; ritrovano così nel passato quegli indizi che rivelano la logica degli eventi, ma che non avevano interpretato nel modo giusto. In poche parole, la moglie di R. prefigurava la donna nuova che si prepara a uscire dalla sua crisalide e ad affrontare il mondo esterno. Il suo comportamento era ispirato dalla rivolta contro la reclusione e l’ignoranza a cui le donne erano destinate. Attraverso la sua curiosità manifestava il desiderio di istruirsi e di partecipare alla vita pubblica. Dalla soglia di casa le restava un solo passo da fare per ritrovarsi dall’altra parte, nel territorio degli uomini. Ma il momento non era ancora venuto.

Questa spiegazione, plausibile per un sociologo, non tiene conto dell’intenzione degli individui, della loro percezione immediata delle cose. La verità era più semplice: la moglie di R. aveva un segreto, ma prima di svelarlo devo precisare che, in fondo, il suo atteggiamento non differisce da quello di storici, cronisti e biografi che frugano nel passato e nel presente, interrogano testimoni, raccolgono confessioni, compiono talvolta lunghi e faticosi viaggi per verificare se quel personaggio ha pronunciato quella parola a lui attribuita. Certo, loro s’interessano a re, visir, a figure d’eccezione, mentre lei, più umilmente, era attirata da un vicolo dove vivevano poche famiglie senza una vera storia. Ma nelle sue indagini sfoderava un’energia uguale, se non superiore, a quella dei cronisti di professione, e nel corso degli anni accumulò un sapere eccezionale riguardo a genealogia, alleanze, polemologia, sessualità, cucina, arti e mestieri e molte altre cose ancora.

Però era incapace di mettere per iscritto il suo sapere (molti scrittori sono diventati celebri limitandosi a registrare fatti e gesti degli abitanti di una strada o di un caseggiato). D’altra parte non ci pensava neppure, perché era una donna della tradizione orale. Conosceva migliaia di segreti, migliaia di storie, era l’archivista di quel vicolo cieco, ma nessuno andava a consultarla. E a cosa può mai servire un sapere che non si tramanda? Le grandi epopee sarebbero andate perse se i rapsodi non le avessero recitate di città in città, e l’immensa cultura di Erodoto e di Mas’udi sarebbe svanita se loro non l’avessero comunicata ai lettori.

La curiosità, inscindibile dalla divulgazione, implica la complicità, il mormorio febbrile, l’intesa degli sguardi: la vittima viene divorata cruda, ci si riunisce intorno al cadavere per un banchetto da cannibali. L’animo curioso è pienamente soddisfatto solo quando rivela ad altri ciò che ha visto, sentito o appreso. Curiosamente la moglie di R. faceva eccezione: non si apriva con nessuno, non riferiva mai le voci che le giungevano dalla strada. Del resto l’ostracismo di cui era vittima le impediva d’intrattenere con le vicine dei rapporti basati sulla fiducia e l’intimità. Comunque sia, non cercò mai di trarre profitto dal suo sapere, mettendo magari il naso nei problemi di qualche coppia. A pensarci, la sua discrezione era perfetta. Forse nel suo modo di comportarsi con gli altri c’era anche un certo disprezzo: riceveva tutto senza dare niente. Si sarebbe detto che non credesse alle virtù del dialogo, dello scambio, della condivisione.

È che si preservava per suo marito. Alla sera, quando lui rientrava, si sedeva ai suoi piedi e gli raccontava fino all’alba le storie che aveva raccolto durante il giorno. E questo spiega lo sguardo affabile, vagamente divertito, che R. posava sulle persone e sulle cose. Grazie ai racconti di sua moglie aveva acquisito una saggezza che lo rendeva sereno e imperturbabile. Si dirà forse che lei lo dominava attraverso le parole che gli serviva giorno dopo giorno, ma era una dominazione che lui accettava, e anzi rivendicava. Ogni notte aveva bisogno della sua razione di storie. Quando morì, sua moglie dietro la porta non si vide più.

Published September 13, 2017
From La querelle des images, éditions EDDIF, 1996
© 1996, EDDIF
© 2017, Specimen


Other
Languages
French
Italian

Your
Tools
Close Language
Close Language
Add Bookmark